samedi 21 septembre 2019

Physician time: what does it worth in €?

La semaine écoulée a été studieuse pour le médecin que je suis : je viens de passer quatre intenses journées de formation continue, à plein temps.
En dépit des affirmations de certains politiciens en mal d’images de fermeté « crédible », et de celles relayées par d’autres détracteurs de mon métier, je ne deviendrai jamais riche, je le sais. Je l’ai d’ailleurs toujours su : un médecin généraliste est juste quelqu’un qui place sa vision de l’être humain, ses intérêts et son énergie quotidienne en convergence avec les attentes de ses patients. Des patients qui, au fil du temps, finissent par lui faire totale confiance en étant absolument certains qu’ils seront toujours aidés et jamais trahis.
Cette confiance s’obtient sur un fond de compétences qu’il faut acquérir et sans cesse renouveler. Les patients ne sont pas dupes ; ils savent ce dont ils ont besoin, même si certains tentent de les convaincre que « leurs besoins » deviennent de plus en plus démesurés. Peut-être qu’il y a du vrai. Mais lorsque les patients demandent disponibilité, écoute et compétences, ils ne se trompent pas ; ils sont juste en train de réclamer la même chose que réclamaient déjà leurs parents, leurs grands-parents, leurs arrière-grands-parents même. Rien n’a fondamentalement changé, car l’homme et ses besoins demeurent immuables au fil du temps.
Mais si les qualités de disponibilité et d’écoute se portent « en soi », comme des attributs essentiels de notre métier, les compétences s’acquièrent. Et tout ce qui s’acquiert prend du temps et le temps, comme le dit le célèbre adage « c’est de l’argent ».
Déjà durant les études de médecine, on nous explique que l’on coûte cher. C’est exact, car le coût de la formation d’un médecin a été estimé à 500 000 Frs environ. Pourtant, il ne viendrait à l’idée de personne de proposer de former des médecins au rabais, a minima, pour épargner quelques millions. Mais, méfions-nous car il serait « tentant » d’imaginer qu’on pourrait faire tout aussi bien avec des médecins formés ailleurs, sans distinction ni du lieu ni du curriculum, qui n’ont pas coûté un sous au contribuable local. Voilà une piste à approfondir pour nos politiciens et les assureurs : prenez une assurance « médecin formé à l’étranger » qui sera moins chère, car les 500 000 Frs épargnés par la Confédération pour chaque médecin non formé en Suisse, seront versés pour alimenter la caisse et réduire les primes ! A étudier…
Oui, le temps nécessaire pour construire l’édifice d’une solide formation médicale et pour garder cet édifice stable à travers le temps, est absolument inséparable des investissements financiers requis pour y parvenir. C’est long et c’est cher, c’est certain.
Depuis leur entrée à l’Ecole de médecine, le rapport que les docteurs entretiennent avec « le temps » est très particulier et touche à l’essence même de leur métier. Les études médicales sont les plus longues qui soient ; l’acquisition d’une spécialité est longue… voire très longue ; maîtriser davantage les compétences de cette spécialité rajoute encore du temps aux années passées à peaufiner ce « savoir-faire » dont profiteront les patients. Car, du plus simple au plus malade, du plus riche au plus pauvre, tous s’attendent à bénéficier de cette « compétence », patiemment acquise, qui leur revient de droit. Le « savoir » de leur docteur se greffe ainsi, et devient inséparable, de l’attention, la disponibilité et l’écoute qu’il partage avec ses patients.
Mais qui doit reconnaître et valoriser ce temps « précieux », patiemment consacré à construire cette formation, ce savoir ? Ce temps, sans lequel rien n’est possible ? Ce temps qui, dans notre pratique médicale, devient aujourd’hui la clef de tous les enjeux ?
Cette semaine studieuse a également été pour moi l’occasion de faire (refaire ?) un certain nombre de constats. D’abord, et une fois de plus, celui qui ne cesse de me surprendre toujours autant : quatre jours d’absence du cabinet qui représentent une perte de gain conséquente que je ne peux récupérer sous aucune forme. Le temps que j’ai donc consciencieusement consacré à ma formation n’a, manifestement, aucune valeur reconnue.
Ensuite, bien plus important, la découverte de nouvelles évidences, formulées par tous les conférenciers qui ont émis des sérieuses inquiétudes face à l’avenir. En effet, au-delà de la sophistication des technologies et des traitements savants, chacun s’est penché sur « le temps », celui nécessaire à comprendre le patient et ses proches, à identifier leurs attentes, à assurer la mise en application d’un plan de soins et à garantir un suivi médical structuré.
Les exemples pleuvent et contiennent, tous, un élément absolu de crédibilité qu’apporte « l’Evidence-based medicine » c’est-à-dire « la médecine fondée sur les preuves ». Ainsi, dans la dialyse chez la personne âgée, l’élément clef pour la prise de la bonne décision est « le temps » qu’on va devoir consacrer à comprendre, à expliquer et à convaincre de son bien-fondé. Dans la prise en charge d’un diabétique, d’un insuffisant cardiaque ou d’un insuffisant respiratoire, c’est « le temps » qu’on leur consacre qui fait toute la différence au niveau des résultats thérapeutiques. Le syndrome métabolique avec troubles nutritionnels, obésité, hypercholestérolémie et hypertension… seul « le temps » permet de tenter d’attendre les cibles thérapeutiques appropriées et, sans doute, d’éviter un certain nombre de traitements chirurgicaux lourds et coûteux. Le traitement des maladies sexuellement transmissibles qui redeviennent un grave problème, nécessite du « temps », beaucoup de temps, pour informer et éduquer. Puis, l’enfant malade qui pleure, avec ses parents qui veulent qu’on lui donne des antibiotiques, c’est « le temps » durant lequel on va leur expliquer les choses qui est la clef pour choisir la thérapie juste et obtenir leur adhésion au traitement. Les adolescents en mal de vivre qui finissent par confier leur souffrance à leur médecin, il n’y a que « le temps » qu’on leur consacre qui est le garant de la conviction qu’ils doivent acquérir sur le fait qu’ils ne seront pas abandonnés. Et je finirai cette liste, qui pourrait être interminable, en mentionnant les soins palliatifs à domicile, qui ne sont pas nécessairement des soins de fin de vie, qui deviendront absolument impraticables si on ne leur accorde pas « le temps ».
Mais, au-delà de ces considérations, évidences et mises en garde, il y a des gens qui sont aujourd’hui payés pour réfléchir et affirmer que les docteurs passent trop de temps avec leurs patients… et que cela, bien entendu, coûte trop cher. C’est un niveau de réflexion très bas de gamme et profondément erroné. Malheureusement, les décisions administratives et politiques qui en découleront, non seulement ne changeront rien aux coûts de la médecine, mais affecteront profondément et négativement sa qualité.
Il y a quelques jours, un cardiologue expérimenté que je connais bien, a été sollicité en urgence, chez lui, à deux heures du matin. Un patient était en train de faire un infarctus aigu du myocarde. Après une longue journée de travail, et dans l’attente de la suivante, il s’est levé à la hâte, conduit dans la nuit sur des routes de campagne gelées, arrivé avec un stress contenu à l’hôpital et foncé en salle de cathétérisme. Il a mis sur ses mains non seulement des gants stériles… mais, surtout, il les a « habillées » de tout son savoir-faire, patiemment acquis au fil du temps. Puis, avec une inégalable précision d’horloger, qui a non pas une montre mais une vie entre ses mains, il a effectué une coronarographie et placé un stent sur l’artère coronaire qui était en train de se boucher. Durée totale de la procédure : 20 minutes ; durée totale du temps consacré à résoudre un problème grave : 4 heures (sortie du lit – retour au lit). Le cardiologue a sauvé la vie du patient et pour ce geste vital, hautement spécialisé et à haut risque, son hôpital l’a rémunéré 280 Frs (l’équivalent de 20 minutes de travail, soit la durée de la coronarographie).
La veille, ma nièce est allée chez le coiffeur : teinture, coupe et brushing 245 Frs. Elle est restée 1h30 avec ses bigoudis, sous le sèche-cheveux. En parallèle, le coiffeur avait pu prendre en charge deux autres clientes, avec comme seul stress la crainte d’une panne d’électricité ! Cherchez l’erreur… !
Oui, vraiment, si les penseurs et les décideurs de notre société ne prennent pas le temps de revoir leur copie… alors je crois que « le temps », celui dont nous avons vraiment besoin pour exercer pleinement notre métier de médecin, ne vaudra bientôt, et définitivement, plus rien.

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