Pour tenter d’atténuer les conséquences économiques dantesques de l’épidémie de Covid-19, la Commission européenne a proposé de délier complètement les Etats membres des règles budgétaires et macroéconomiques établies par le Pacte de stabilité et de croissance. “Le coronavirus a un impact dramatique sur notre économie. […] J’avais dit qu’on ferait tout ce qui est nécessaire pour soutenir les Européens et l’économie européenne. Aujourd’hui, nous avons tenu nos engagements”, a déclaré la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans une vidéo publiée sur Twitter.
Adopté en 1997, et réformé (durci) au début des années 2010 lors de la crise de la zone euro, le Pacte de stabilité est un instrument de coordination des politiques budgétaires nationales visant à éviter l’apparition de déficits publics excessifs et l’augmentation démesurée de la dette publique au sein de la zone euro. Les dix-neuf Etats membres de la zone euro sont tenus de présenter chaque année leurs objectifs budgétaires et économiques, de maintenir leur déficit public en dessous de 3 % du PIB et leur dette publique sous le seuil 60 % du PIB (ou de la ramener vers ce seuil à un rythme soutenu) sous peine d’être visé par une procédure d’infraction qui peut, théoriquement, aboutir à une sanction financière.
Un Etat peut par contre déroger à ces règles en cas de “circonstances exceptionnelles”. “Il peut s’agir d’un événement inhabituel échappant au contrôle de l’État membre concerné avec une incidence majeure sur la situation des finances publiques, ou d’une période de récession économique grave”, lit-on dans une communication sur les Principes communs aux mécanismes nationaux de correction budgétaire.
"Injecter dans l'économie autant d'argent que nécessaire"
Aussi, “en cas de grave récession économique dans la zone euro ou dans l’UE dans son ensemble, le rythme de l’assainissement budgétaire peut être adapté pour tous les États membres”, moyennant l’activation d’une “clause de crise”, explique la Commission sur son site. Elle précise cependant qu’“il ne s’agit pas d’interrompre l’ajustement budgétaire”, mais de redéfinir le moment venu, pays par pays, les efforts et les délais exigés pour atteindre les objectifs du Pacte. C’est en réalité ce qui avait été fait lors de la crise économique de 2008, sans que cette clause de crise soit pour autant utilisée.
Cette fois, l’exécutif européen va plus loin en proposant de l’activer. La Commission ayant certainement pris la température auprès des Etats de la zone euro, le Conseil devrait donc donner son feu vert. Les Etats membres pourront alors “injecter dans l’économie autant d’argent que nécessaire” pour la maintenir à flot, selon les mots de Mme von der Leyen, et amortir le choc provoqué par l’épidémie de Covid-19.
L’Italie appelle l’Union au secours financier
Les règles du Pacte de stabilité auront été assouplies au maximum. Il reviendra donc aussi aux Vingt-sept d’adopter des mesures supplémentaires de solidarité pour affronter, ensemble, la crise économique qui s’annonce. Vendredi, le Premier ministre italien Giuseppe Conte a appelé de ses vœux l’Union à utiliser “toute la puissance” du Mécanisme européen de stabilité (MES, fonds de secours de la zone euro), dans un entretien accordé vendredi au Financial Times. “La politique monétaire ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes ; nous devons faire de même sur le front budgétaire et le temps est un facteur essentiel”, a-t-il ajouté. Son appel intervient à un moment dramatique, alors que jeudi le nombre de morts du coronavirus dans le pays. Un bilan qui s’’est alourdi vendredi, avec 627 autres décès.
Le président du Conseil européen Charles Michel a écrit vendredi au président italien Sergio Mattarella pour assurer que “l’Italie n’est pas seule” et que “l’Italie et l’Europe sortiront (de cette crise) plus fortes qu’auparavant”.
Reste que si les ministres européens des Finances se sont félicités mardi que les mesures prises au niveau européen et national pour atténuer l’impact économique du coronavirus représentent environ 1 % du PIB de l’UE (120 milliards d’euros), ils n’ont pas adopté de mesures de relance budgétaire communes. L’Allemagne et les Pays-Bas se sont (timidement) dits ouverts à l’émission de “corona bonds” demandés par Rome, à savoir des obligations qui mutualiseraient les dettes des États de la zone euro. Vendredi, Mme von der Leyen a expliqué qu’elle examinait cette option.
"Si on dit à l’Italie ‘Débrouillez-vous tout seuls’, l’Europe ne s’en relèvera pas”
L’activation du fonds de secours de la zone euro (MES), doté d’une force de frappe de 410 milliards d’euros, n’était par contre pas à l’ordre du jour mardi, d’aucuns – à commencer par les Pays-Bas et l’Allemagne – considérant cela prématuré. Mis en place en 2012 lors de la crise de la zone euro, le MES est censé fournir des crédits aux États en difficulté, en échange de réformes.
Mais dans le contexte actuel, le scénario d’un secours européen conditionné à des réformes strictes serait catastrophique pour l’image de l’UE, déjà écornée par l’expérience de la crise de la zone euro ou celle migratoires, que les Italiens ont eu l’impression d’affronter seuls. D’autant que, la solidarité européenne peine à se mettre en branle. Et que la Banque centrale européenne, en refusant initialement de se préoccuper du cas italien, a mis de l’huile sur le feu, avant de sortir l’artillerie lourde jeudi, avec un plan d’urgence de 750 milliards d’euros de rachat de dettes publique et privée pour soutenir l’économie européenne.
Paris a d’ailleurs mis en garde sur le fait que l’UE ne peut, cette fois, échouer au test de solidarité. “Si c’est le chacun pour soi, si on dit à l’Italie ‘Débrouillez-vous tout seuls’, l’Europe ne s’en relèvera pas”, a déclaré le ministre des Finances, Bruno Le Maire, exhortant les États membres à suivre l’exemple du plan d’urgence de la BCE. “Si nous ne sommes pas capables de nous rassembler […] les citoyens diront que si l’Europe ne nous protège pas, ne nous aide pas, quand nous sommes en difficulté, à quoi sert-elle ?”
samedi 21 mars 2020
vendredi 20 mars 2020
A visionary virologist
« Il y a trois Chinois qui meurent, et ça fait une alerte mondiale [...] Tout ça est juste du délire quoi, les gens ont pas de quoi s'occuper, alors ils vont chercher en Chine de quoi avoir à peur… »
Entretien du 21 janvier 2020 (source : https://www.youtube.com/watch?v=qoBoryHuZ6E
mercredi 18 mars 2020
Agnès Buzyn le ministère du Covid-19
Pour celles et ceux qui ne sont pas abonnés au Monde, voici l’article :
« On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade » : les regrets d’Agnès Buzyn
Catastrophée par la crise sanitaire, l’ex-ministre de la santé revient pour « Le Monde » sur sa campagne à Paris et son départ du gouvernement en pleine crise du coronavirus.
« Je me demande ce que je vais faire de ma vie. » Agnès Buzyn est enfin rentrée chez elle, lundi 16 mars, en milieu d’après-midi. Elle vient de « fermer la porte du QG » de sa campagne parisienne et a posé son sac, seule, « effondrée », dit-elle. Elle pleure, et ses larmes n’ont rien à voir avec celles « d’émotion » et de « déchirement » essuyées entre deux sourires lors de la passation de pouvoir au ministère de la santé, il y a un mois. Ce sont des larmes lourdes, de fatigue, d’épuisement, mais aussi de remords. Elle se livre sans fard et l’aveu est terrible. « Quand j’ai quitté le ministère, assure-t-elle, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. » A mots à peine cachés, l’ex-ministre de la santé reconnaît ce qui la déchire : fallait-il abandonner son poste en pleine tempête, alors qu’elle devinait le drame à venir ?
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Elections municipales : la préparation du second tour éclipsée par la gestion de la crise sanitaire
Agnès Buzyn n’est arrivée qu’en troisième position à Paris et sans attendre les directives de La République en marche (LRM) ou l’annonce du report du second tour, a annoncé ce lundi qu’« en raison de la situation sanitaire et dans les hôpitaux », elle se retirait du jeu. « C’est ma part de liberté, de citoyenne et de médecin. » L’avait-elle donc perdu, ce libre arbitre, durant son aventure électorale ? Ses propos le laissent deviner. « Depuis le début je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting. J’ai vécu cette campagne de manière dissociée. » Le mot dit tout. A-t-on jamais gagné une élection en affichant pareille dualité ?
Tragédie intime
En politique aussi, l’inconscient parle. Dimanche 15 mars, Agnès Buzyn est allée voter dans le 5e arrondissement, près de chez elle. Essayer de voter, plutôt. La tête de liste de LRM avait d’abord oublié sa carte d’identité chez elle, dans un autre sac. Le temps que son équipe s’active, elle a fait le pied de grue devant le bureau de vote. Au moment de glisser son bulletin, impossible de débloquer la pompe du flacon de gel hydroalcoolique… Mauvais karma, mauvais signal.
Le soir, elle a été distancée par la maire socialiste sortante, Anne Hidalgo, et par Rachida Dati. Benjamin Griveaux aurait-il fait mieux ? « Sûrement pas, tranche-t-elle. Quand je suis arrivée, il était à 13 %. » Par tempérament, Agnès Buzyn n’est pas du genre à jouer les supplétifs. Si elle s’est présentée, c’est avec la conviction qu’elle pouvait bousculer le jeu. C’était son moment, pensait-elle. Ou son calvaire, vues les circonstances. Aujourd’hui, c’est toute cette séquence qui lui revient, jusqu’à faire de sa confession l’expression d’une tragédie intime.
Tout commence le 14 février. A l’époque, l’OMS ne parle pas encore de pandémie, les épidémiologistes comparent la mortalité du virus à celle de la grippe. Seule la province chinoise de Hubei est confinée. Invitée sur France Inter, ce matin-là, Agnès Buzyn fait le point sur ses dossiers et la situation sanitaire. Elle n’a pas encore vu la vidéo intime de Benjamin Griveaux, qui tourne depuis peu sur les réseaux sociaux. Toujours pas candidate dans un arrondissement de la capitale ?, lui demande-t-on à l’antenne. Ce même Griveaux ne lui avait proposé qu’« une troisième position, dans le 15e », précise-t-elle aujourd’hui. Pas forcément de son niveau. Elle n’entre pas dans ces détails et répète : « Je ne pourrai pas être candidate. J’avais déjà un agenda très chargé, j’ai beaucoup de réformes dans le ministère et s’est rajouté un surcroît de travail inattendu malheureusement, qui est cette crise du coronavirus. » L’affaire semble tranchée.
« Paris est un beau mandat. J’ai appelé moi-même le président pour lui dire que j’y allais »
Que se passe-t-il entre ce vendredi matin et le samedi soir suivant, qui la voit s’avancer sur le devant de la scène parisienne, alors que Griveaux jette l’éponge ? A l’entendre, elle devine déjà ce qui se profile. « Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. » Dès lors, pourquoi tout lâcher pour remplacer Griveaux ? « Ni Emmanuel Macron ni Edouard Philippe ne m’ont mis la pression. Mais je recevais des milliers de textos me disant : “Il n’y a que toi…” Je me suis dit que je n’allais pas laisser La République en marche dans la difficulté… Paris est un beau mandat. J’ai appelé moi-même le président pour lui dire que j’y allais. »
Un bref moment de bonheur
Lucide sur la crise sanitaire et pourtant décidée à s’engager : nous sommes là au cœur du mystère Buzyn. La politique, cette hématologue réputée, entrée au gouvernement en 2017, en rêvait. « Depuis toujours, dit-elle. C’était aussi l’ADN de la famille Veil », celui de Simone, son ex-belle-mère, qu’elle admire. Elle avait déjà manqué de sauter le pas lors du précédent quinquennat, quand François Hollande avait songé à la nommer ministre, sans finalement donner suite. Auparavant, François Fillon l’avait, lui aussi, remarquée, alors qu’elle présidait l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, et lui avait proposé de devenir sa suppléante à Paris, aux législatives de 2012. Par conviction de gauche – peut-être aussi parce que c’était un début trop modeste –, elle avait refusé.
Agnès Buzyn se dit que ce défi parisien est une aubaine. La capitale, sa ville natale, semble lui tendre les bras. Elle le croit d’autant plus volontiers qu’au gouvernement, ses marges se sont rétrécies. Le corps hospitalier la voue aux gémonies, la réforme des retraites est un loupé, la future loi sur la dépendance n’aura pas les crédits exigés… Si elle est encore à ce poste en 2022 et que Macron échoue, confie-t-elle à des proches, que restera-t-il de sa réputation ? Agnès Buzyn n’aime pas perdre et une nouvelle carrière, politique celle-là, s’ouvre à elle. Olivier Véran, un ex-socialiste de 39 ans, neurologue et député, paraît taillé pour lui succéder.
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le bilan d’Agnès Buzyn, de la PMA pour toutes à une crise hospitalière sans précédent
L’entrée en campagne est un bref moment de bonheur. La Macronie parisienne, sonnée par l’affaire Griveaux, se reprend à rêver. La candidate a les coudées franches. Elle enterre les projets-phares de son prédécesseur et pousse la promesse qui fait sa marque : l’aide aux personnes âgées à domicile. Bienveillance, proximité, mais aussi sécurité et propreté. Qu’apporte-t-elle de plus ? Son passé précisément, soit un sérieux, une compétence, une légitimité.
Pendant quelques jours, elle croit à sa bonne étoile. Les sondages frémissent. On l’engueulait toujours, et désormais on l’aborde gentiment. « J’aime les gens, dit-elle, et quoi qu’on en dise, dans un ministère, il y a une distance qui se crée. » La candidate s’enhardit et commet la faute de critiquer le manque de préparation de la Mairie de Paris face à l’épidémie, alors qu’elle l’a félicitée un peu plus tôt – et par écrit – de sa mobilisation. A moins que ces critiques ne trahissent un sentiment de culpabilité personnel ? Le satané virus envahit tout et, à la télévision, c’est Olivier Véran qui prend la lumière. Précis, rassurant, il est jugé excellent. La révélation n’est plus là où on l’imaginait…
Commence alors le chemin de croix. Sur le terrain, dans les débats, Agnès Buzyn montre un vrai savoir-faire mais elle stagne dans les sondages. Comment rassembler largement au second tour, comme promis, si elle arrive derrière Hidalgo et Dati ? « Je ne suis pas une politicienne mais une professionnelle de l’intérêt général », affirme le message audio qu’elle laisse sur 500 000 téléphones. La crise sanitaire la ramène sans cesse à son passé de ministre. Les réseaux sociaux reprennent ainsi cette petite phrase, lâchée le 24 janvier : « Le risque de propagation du coronavirus dans la population est très faible. »
« Bien sûr, je n’aurais pas dû prononcer ces mots. Mais avant de partir du ministère, j’avais tout préparé, malgré une inertie… » Les quelques reproches qu’elle s’adresse se mêlent au désir de convaincre qu’elle n’a pas failli. « Je n’ai plus de boulot », glisse-t-elle, avant de se reprendre : « Je dis toujours : “Ministre un jour, médecin toujours”. L’hôpital va avoir besoin de moi. Il va y avoir des milliers de morts. »
« On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade » : les regrets d’Agnès Buzyn
Catastrophée par la crise sanitaire, l’ex-ministre de la santé revient pour « Le Monde » sur sa campagne à Paris et son départ du gouvernement en pleine crise du coronavirus.
« Je me demande ce que je vais faire de ma vie. » Agnès Buzyn est enfin rentrée chez elle, lundi 16 mars, en milieu d’après-midi. Elle vient de « fermer la porte du QG » de sa campagne parisienne et a posé son sac, seule, « effondrée », dit-elle. Elle pleure, et ses larmes n’ont rien à voir avec celles « d’émotion » et de « déchirement » essuyées entre deux sourires lors de la passation de pouvoir au ministère de la santé, il y a un mois. Ce sont des larmes lourdes, de fatigue, d’épuisement, mais aussi de remords. Elle se livre sans fard et l’aveu est terrible. « Quand j’ai quitté le ministère, assure-t-elle, je pleurais parce que je savais que la vague du tsunami était devant nous. Je suis partie en sachant que les élections n’auraient pas lieu. » A mots à peine cachés, l’ex-ministre de la santé reconnaît ce qui la déchire : fallait-il abandonner son poste en pleine tempête, alors qu’elle devinait le drame à venir ?
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Agnès Buzyn n’est arrivée qu’en troisième position à Paris et sans attendre les directives de La République en marche (LRM) ou l’annonce du report du second tour, a annoncé ce lundi qu’« en raison de la situation sanitaire et dans les hôpitaux », elle se retirait du jeu. « C’est ma part de liberté, de citoyenne et de médecin. » L’avait-elle donc perdu, ce libre arbitre, durant son aventure électorale ? Ses propos le laissent deviner. « Depuis le début je ne pensais qu’à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J’avais peur à chaque meeting. J’ai vécu cette campagne de manière dissociée. » Le mot dit tout. A-t-on jamais gagné une élection en affichant pareille dualité ?
Tragédie intime
En politique aussi, l’inconscient parle. Dimanche 15 mars, Agnès Buzyn est allée voter dans le 5e arrondissement, près de chez elle. Essayer de voter, plutôt. La tête de liste de LRM avait d’abord oublié sa carte d’identité chez elle, dans un autre sac. Le temps que son équipe s’active, elle a fait le pied de grue devant le bureau de vote. Au moment de glisser son bulletin, impossible de débloquer la pompe du flacon de gel hydroalcoolique… Mauvais karma, mauvais signal.
Le soir, elle a été distancée par la maire socialiste sortante, Anne Hidalgo, et par Rachida Dati. Benjamin Griveaux aurait-il fait mieux ? « Sûrement pas, tranche-t-elle. Quand je suis arrivée, il était à 13 %. » Par tempérament, Agnès Buzyn n’est pas du genre à jouer les supplétifs. Si elle s’est présentée, c’est avec la conviction qu’elle pouvait bousculer le jeu. C’était son moment, pensait-elle. Ou son calvaire, vues les circonstances. Aujourd’hui, c’est toute cette séquence qui lui revient, jusqu’à faire de sa confession l’expression d’une tragédie intime.
Tout commence le 14 février. A l’époque, l’OMS ne parle pas encore de pandémie, les épidémiologistes comparent la mortalité du virus à celle de la grippe. Seule la province chinoise de Hubei est confinée. Invitée sur France Inter, ce matin-là, Agnès Buzyn fait le point sur ses dossiers et la situation sanitaire. Elle n’a pas encore vu la vidéo intime de Benjamin Griveaux, qui tourne depuis peu sur les réseaux sociaux. Toujours pas candidate dans un arrondissement de la capitale ?, lui demande-t-on à l’antenne. Ce même Griveaux ne lui avait proposé qu’« une troisième position, dans le 15e », précise-t-elle aujourd’hui. Pas forcément de son niveau. Elle n’entre pas dans ces détails et répète : « Je ne pourrai pas être candidate. J’avais déjà un agenda très chargé, j’ai beaucoup de réformes dans le ministère et s’est rajouté un surcroît de travail inattendu malheureusement, qui est cette crise du coronavirus. » L’affaire semble tranchée.
« Paris est un beau mandat. J’ai appelé moi-même le président pour lui dire que j’y allais »
Que se passe-t-il entre ce vendredi matin et le samedi soir suivant, qui la voit s’avancer sur le devant de la scène parisienne, alors que Griveaux jette l’éponge ? A l’entendre, elle devine déjà ce qui se profile. « Je pense que j’ai vu la première ce qui se passait en Chine : le 20 décembre, un blog anglophone détaillait des pneumopathies étranges. J’ai alerté le directeur général de la santé. Le 11 janvier, j’ai envoyé un message au président sur la situation. Le 30 janvier, j’ai averti Edouard Philippe que les élections ne pourraient sans doute pas se tenir. Je rongeais mon frein. » Dès lors, pourquoi tout lâcher pour remplacer Griveaux ? « Ni Emmanuel Macron ni Edouard Philippe ne m’ont mis la pression. Mais je recevais des milliers de textos me disant : “Il n’y a que toi…” Je me suis dit que je n’allais pas laisser La République en marche dans la difficulté… Paris est un beau mandat. J’ai appelé moi-même le président pour lui dire que j’y allais. »
Un bref moment de bonheur
Lucide sur la crise sanitaire et pourtant décidée à s’engager : nous sommes là au cœur du mystère Buzyn. La politique, cette hématologue réputée, entrée au gouvernement en 2017, en rêvait. « Depuis toujours, dit-elle. C’était aussi l’ADN de la famille Veil », celui de Simone, son ex-belle-mère, qu’elle admire. Elle avait déjà manqué de sauter le pas lors du précédent quinquennat, quand François Hollande avait songé à la nommer ministre, sans finalement donner suite. Auparavant, François Fillon l’avait, lui aussi, remarquée, alors qu’elle présidait l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, et lui avait proposé de devenir sa suppléante à Paris, aux législatives de 2012. Par conviction de gauche – peut-être aussi parce que c’était un début trop modeste –, elle avait refusé.
Agnès Buzyn se dit que ce défi parisien est une aubaine. La capitale, sa ville natale, semble lui tendre les bras. Elle le croit d’autant plus volontiers qu’au gouvernement, ses marges se sont rétrécies. Le corps hospitalier la voue aux gémonies, la réforme des retraites est un loupé, la future loi sur la dépendance n’aura pas les crédits exigés… Si elle est encore à ce poste en 2022 et que Macron échoue, confie-t-elle à des proches, que restera-t-il de sa réputation ? Agnès Buzyn n’aime pas perdre et une nouvelle carrière, politique celle-là, s’ouvre à elle. Olivier Véran, un ex-socialiste de 39 ans, neurologue et député, paraît taillé pour lui succéder.
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L’entrée en campagne est un bref moment de bonheur. La Macronie parisienne, sonnée par l’affaire Griveaux, se reprend à rêver. La candidate a les coudées franches. Elle enterre les projets-phares de son prédécesseur et pousse la promesse qui fait sa marque : l’aide aux personnes âgées à domicile. Bienveillance, proximité, mais aussi sécurité et propreté. Qu’apporte-t-elle de plus ? Son passé précisément, soit un sérieux, une compétence, une légitimité.
Pendant quelques jours, elle croit à sa bonne étoile. Les sondages frémissent. On l’engueulait toujours, et désormais on l’aborde gentiment. « J’aime les gens, dit-elle, et quoi qu’on en dise, dans un ministère, il y a une distance qui se crée. » La candidate s’enhardit et commet la faute de critiquer le manque de préparation de la Mairie de Paris face à l’épidémie, alors qu’elle l’a félicitée un peu plus tôt – et par écrit – de sa mobilisation. A moins que ces critiques ne trahissent un sentiment de culpabilité personnel ? Le satané virus envahit tout et, à la télévision, c’est Olivier Véran qui prend la lumière. Précis, rassurant, il est jugé excellent. La révélation n’est plus là où on l’imaginait…
Commence alors le chemin de croix. Sur le terrain, dans les débats, Agnès Buzyn montre un vrai savoir-faire mais elle stagne dans les sondages. Comment rassembler largement au second tour, comme promis, si elle arrive derrière Hidalgo et Dati ? « Je ne suis pas une politicienne mais une professionnelle de l’intérêt général », affirme le message audio qu’elle laisse sur 500 000 téléphones. La crise sanitaire la ramène sans cesse à son passé de ministre. Les réseaux sociaux reprennent ainsi cette petite phrase, lâchée le 24 janvier : « Le risque de propagation du coronavirus dans la population est très faible. »
« Bien sûr, je n’aurais pas dû prononcer ces mots. Mais avant de partir du ministère, j’avais tout préparé, malgré une inertie… » Les quelques reproches qu’elle s’adresse se mêlent au désir de convaincre qu’elle n’a pas failli. « Je n’ai plus de boulot », glisse-t-elle, avant de se reprendre : « Je dis toujours : “Ministre un jour, médecin toujours”. L’hôpital va avoir besoin de moi. Il va y avoir des milliers de morts. »
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