Médicaments dangereux et scandales sanitaires : la France victime de la sous-exploitation des données du système de soins
Depuis la plainte de Marion Larat au sujet des contraceptifs
hormonaux oraux combinés (CHOC) nous sommes entrés dans une nouvelle gestion de
crise du médicament. Et la “découverte” par le public, mais pas par l’assurance
maladie, que Diane 35, autorisée dans les cas d’acné, était prescrite comme
contraceptif n’a pas arrangé les choses. Le déballage des données en pleine
crise conduit d’une part au désordre et à la panique des politiques, d’autre
part à la méfiance et au désarroi des femmes.
Ceci n’est pas surprenant : les affaires antérieures avaient
bien mis en évidence l’opacité des procédures dans la surveillance du système
de soins et l’absence d’accès aux données brutes en matière de
pharmacovigilance ou même de consommation de biens et services médicaux.
Ainsi, il est impossible de connaître le nombre de boîtes de contraceptifs consommées par personne en France en 2011 ou 2012. Il est certain que ces données brutes sont dans les ordinateurs de l’assurance maladie puisque cette délivrance se fait sur prescription et qu’elle donne dans certains cas droit à un remboursement soit par la sécu soit par les mutuelles. Mais à ce jour, et malgré une crise sans précédent, aucune donnée du Système National d'informations Inter Régions d'Assurance Maladie (SNIIRAM) n’a été divulguée.
Dans ce contexte il convient de ne pas accorder une grande
confiance aux nombres et pourcentage avancés notamment par des
« rapports » sortis à point nommé mais jamais publiés dans une revue
à comité de lecture. Que penser en effet de celui, confidentiel, du CHU de
Brest, qui fait état de morts liées à la prise de Diane 35, dont la presse, qui
pourtant fait des gros titres sur le sujet de l’open data, s’est fait l’écho
sans juger utile de le rendre consultable ?
Partager l’information est la base de la confiance. Maintenir
une asymétrie d’information est suspect mais surtout entrave le processus de
correction des causes de ces complications en cas d’effets secondaires des
médicaments ou de biocides.
Or il faut rappeler que les complications graves des
contraceptifs hormonaux oraux combinés (CHOC) sont rares et surviennent avec
toutes les pilules combinées c’est à dire contenant un œstrogène. Seule la
fréquence des complications cardio-vasculaires est en débat. Or pour mesurer un
événement rare chacun comprend qu’il faut des séries très nombreuses et un
reporting systématique et précis des complications et autres effets
secondaires. Ce reporting est avant tout le résultat d’un enseignement de la
pharmacovigilance mais aussi d’un dispositif qui permet de rétribuer ces
déclarations par les soignants pour autant qu’elles soient complètes et précises.
Comment donc améliorer le dispositif de pharmacovigilance et éviter les déballages de crise ?
1 Les agences doivent être parfaitement transparentes sur les déclarations d’effets secondaires.
Ceci afin que les chercheurs puissent travailler régulièrement
sur ce sujet en post marketing et sur la durée. En effet certaines
complications sont parfaitement ignorées par des essais cliniques de courte
durée. Par exemple les complications cardio-vasculaires des CHOC sont beaucoup
plus fréquentes après 35 ans, chez les utilisatrices continues des pilules 3G
et bien évidemment chez les fumeuses ou les obèses. D’autres complications ne
sont reconnues que parce que de nouveau moyens diagnostiques apparaissent,
c’est le cas des anomalies de la coagulation.
2 L’assurance maladie ne peut se soustraire plus longtemps à l’open data
L’assureur maladie est en situation de monopole en France mais
nous n’en tirons même pas avantage à l’instar des pays nordiques pour avoir des
statistiques de santé publique et de prévalence des maladies exhaustives,
précises et ouvertes. Tous les obstacles et prétextes mis en place par la sécu
ne sont en réalité que des moyens de faire durer un système qui est à son
avantage dans les négociations avec l’Etat, les professionnels, les producteurs
de biens et services médicaux ou les autres assureurs. Toutefois on peut douter
que l’Etat soit en mesure de faire cesser cette situation très préjudiciable
aux patients tant la culture de la rétention totale d’information est ancrée
dans les pratiques.
3 Le régulateur du médicament doit disposer de procédures urgentes et les utiliser
Un exemple type de ce fonctionnement très lent est l’affaire du
Médiatorâ.
Mais il y en a d’autres, par exemple l’avertissement récent de la FDA sur le
Stilnoxâ et
tous les psychotropes contenant du Zolpidem (DCI) (http://www.fda.gov/Safety/MedWatch/SafetyInformation/SafetyAlertsforHumanMedicalProducts/ucm334738.htm).
La FDA a demandé depuis le 10 janvier 2013
de diminuer de moitié les doses recommandées de Stilnoxâ
notamment chez les femmes en raison de la persistance d’un effet le lendemain
matin de la prise s’accompagnant d’un surcroît d’accidents de la circulation.
Faut il attendre une plainte pour homicide lors d’un accident de la circulation
pour réduire les doses et la durée de prescription (donc de remboursement) qui
devrait être de 28 jours et s’avère être en moyenne de deux ans (http://ansm.sante.fr/content/download/38059/500324/version/2/file/Afssaps_Rapport-Benzodiazepines_Janvier_2012.pdf)?
4 Impliquer contractuellement la recherche scientifique dans la pharmacovigilance
La FDA qui agrège les données de plusieurs assureurs dans 52
Etats a des statistiques précises et à jour sur de nombreux sujets critiques de
pharmacovigilance. C’est grâce à la transparence mais aussi au travail de
recherche des universités américaines.
Les agences doivent réguler et non faire le travail de
recherche ou de contrôle ce qui reviendrait à intervenir en permanence avec des
moyens qu’elles n’ont pas. On comprendra que des enjeux de pouvoir font obstacle.
Il faut aussi réfléchir à leur efficacité compte tenu des moyens déployés et
d’une trop grande complexité organisationnelle. Ici le benchmarking est
essentiel car de nombreux pays développés ont des systèmes performants.
En revanche nous avons des unités de recherche nombreuses, de
qualité et financées par des fonds publics mais l’accès aux données est
difficile voire impossible notamment auprès de l’assurance maladie. En effet
les déclarations des centres de pharmacovigilance sont largement insuffisantes
car elles sous estiment le risque en raison de la sous déclaration quantitative
et qualitative et parfois l’ignorent si la complication n’est pas connue des
soignants. Il faut que les unités de recherche puissent contractualiser avec
les agences et accéder aux données du système de soins pour suivre au long
cours la consommation médicamenteuse française. Actuellement cet effort de
recherche est insuffisant. Par ailleurs pour être supportable économiquement
cette recherche doit être coordonnée en Europe.
5 La formation des soignants doit être axée sur les complications évitables des procédures de soins
Il s’agit d’une véritable révolution cognitive et éducative.
Penser que le soin peut être plus efficace, moins nocif en diminuant les
moyens, voire en s’abstenant de certains traitements est assurément un
changement radical dans un pays où la culture de la logique de moyens, le
dépenser plus a remplacé le bon sens.
Cette libération est nécessaire et tout à fait fidèle au
« primum non nocere ». A travers le désarroi et les drames de femmes
atteintes de complications des pilules contraceptives on mesure le bénéfice
potentiel de la libération des données afin d’éviter même une seule de ces
complications. Par ailleurs les technologies informatiques d’anonymisation des
données sont solides. C’est pourquoi l’open data de l’assurance maladie est une
urgence de santé publique avec un excellent rapport bénéfice/risque (http://www.opendatasante.com/).
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