mercredi 31 mars 2021
Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l'association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
Médecine du futur également cette année, mais avec déjà une forme d antériorité de près d un siècle pour la télémédecine originelle, se portant au secours des marins ou des habitants de zones géographiques isolées. La formidable extension de la pratique tient aujourd hui au développement des technologies de l'information et de la communication qui s appliquent maintenant à toutes les formes de pratique médicale. Le thème débattu était intitulé : Télémédecine, télédiagnostic, téléchirurgie une révolution de la pratique médicale et de nos systèmes de santé Comme les années passées, les débats avaient lieu dans la salle de théâtre du musée Gadagne, dans le Vieux-Lyon, et ils réunissaient : Guy Vallancien, professeur d urologie, membre de l Académie de médecine et de l Académie de chirurgie Pascal Pujol, professeur d oncogénétique Jean-Louis Touraine, professeur d immunologie, député du Rhône Jean Matouk, professeur honoraire de sciences économiques Guy-André Pelouze, chirurgien cardiovasculaire Meneur de jeu : Jean-Pierre Vacher, directeur d antenne de Télé Lyon Métropole Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon I
14 Avant l entrée en matière, le président de la MTRL a tenu à adresser quelques mots de bienvenue à la centaine de participants venus assister à ce 6 e colloque d économie de la santé. Il a remercié également pour leur présence les orateurs invités, en indiquant que le Pr Guy Vallancien, absent de Lyon ce jour-là, interviendrait tout de même dans le débat par téléconférence. Comme l an passé, Jean-Pierre Vacher animait la réunion. Jouant les Candide, il a choisi de formuler les questions que chacun se pose face au grand chamboulement de la médecine qui se prépare à partir de l irruption des objets connectés et des robots dans notre existence : Va-t-on vers une médecine sans médecins? La médecine va-t-elle à son tour connaître l ubérisation? Va-t-on répondre par le biais de la télémédecine au problème des déserts médicaux? S adressant en premier au Dr Guy-André Pelouze, c est le chirurgien qu il interroge : «Dans votre domaine qu est la chirurgie cardiovasculaire, quelle forme prennent la télémédecine et la téléchirurgie?» Réponse du Dr Pelouze : «La chirurgie cardiovasculaire a connu des transformations considérables depuis 1952, date de la première opération avec circulation extracorporelle, puis le premier anévrisme de l aorte abdominale opéré en France par Charles Dubost. Mais ce qui se passe aujourd hui dépasse largement ce que l on a connu par le passé. On assiste actuellement à des transformations tellement profondes que l on peut parler de disparition de pans entiers de l activité chirurgicale. Rassurez-vous, ce n est pas pour vous laisser sans soins. C est au contraire pour soigner autrement : avec des techniques qui permettent, au lieu d aller attaquer les vaisseaux, le cœur directement, eh bien on fait tout par la lumière de l arbre cardiovasculaire, parce que l arbre cardiovasculaire c est des cavités avec tes tuyaux, un arbre très important, vital, et qui peut être abordé en différents points de l organisme. Donc on peut aujourd hui, en pénétrant dans le système vasculaire par une porte, effectuer des opérations d une très grande complexité, qui ne se résument absolument pas à mettre un ressort, comme on dit. Cela, c est la partie Aujourd hui, tout ce que font les cardiologues peut être fait en télémédecine la plus triviale qui a succédé à celle du ballon. Et donc, aujourd hui, la transformation est très considérable car elle va faire passer dans l histoire de la médecine un champ entier de l activité chirurgicale. Voilà un petit peu comment on peut planter le décor dans le domaine de la chirurgie cardiovasculaire. «Mais j avais promis aussi de répondre sur la cardiologie. Sur la cardiologie, c est pareil, c est-à-dire qu aujourd hui tout ce que font les cardiologues peut être fait en télémédecine, et surtout quand leurs patients sont porteurs d implants qui maintenant sont connectés, comme les pacemakers et les défibrillateurs. Ils envoient des données qui peuvent être lues à distance. Donc on aborde une extraordinaire transformation dont on ne connaît absolument pas, à mon avis, ni l issue ni les modalités réelles. Ce qui est passionnant et parfois inquiétant dans des sociétés où l incertitude et le risque sont trop valorisés. «Les enjeux sont liés à l innovation. C est l innovation qui va en quelque sorte diriger l évolution des choses. D abord, l innovation technique : j ai parlé des outils pour travailler dans les vaisseaux. J ai aussi parlé de tous les implants que l on peut installer et qui sont de plus en plus petits ; aujourd hui, on a des pacemakers qui peuvent être implantés avec une sonde à l intérieur même du cœur. Et ça va continuer la miniaturisation, c est la loi de Moore! Tous ces implants, c est l innovation qui dirige l évolution dans ce domaine. Le reste doit suivre. Et c est là que les questions se posent. Moi je ne me pose pas beaucoup de questions sur la capacité à innover. On est entrés dans une civilisation d une innovation à un rythme effréné. Par contre, derrière, il faut suivre» C est tout le problème du financement de cette innovation qui se pose et qui laisse le Dr Pelouze dubitatif : «S agissant de la télémédecine dans le système de soins, il y a une assurance maladie, elle va fonctionner. Mais il faut qu elle trouve des ressources. Comme elle ne peut pas trouver de ressources en plus, puisqu on a des prélèvements obligatoires que tout le monde considère comme assez élevés, ce que chacun, je crois, peut constater il va falloir faire des choix, donc allouer des ressources à la télémédecine parce que c est l avenir, et réduire les ressources là où elles ne sont pas efficientes. [ ] II Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
15 Le gisement d économie du système de soins en France c est mon opinion de praticien, de chirurgien en activité, qui vit au ras de la province et qui n est impliqué dans aucune politique de santé est un gisement énorme, qui peut être évalué à 25 % d inefficience du système de soins, pour différentes raisons, multiples et variées. Sans vouloir accuser tel ou tel, nous sommes inefficients sur l organisation, sur la façon dont on rembourse un certain nombre de choses, sur les avantages en nature, etc. Il y a plein de choses qui peuvent être déplacées vers les systèmes de soin innovants, dont la télémédecine.» Il n empêche que cela ne suffira pas, à son avis, et qu il faudra recourir au co-paiement, notamment par l intermédiaire des assurances complémentaires. C est au tour du Pr Pascal Pujol d être interrogé sur la médecine prédictive et la médecine personnalisée. Est-ce que l on a beaucoup avancé en la matière ces dernières années? La réponse est fortement affirmative : «Les avancées sont considérables dans différents domaines : l oncologie, que vous connaissez, c est-à-dire la cancérologie. On ne traite plus aujourd hui un cancer du sein, du côlon, du poumon sans une analyse génétique. On ne le sait pas parce qu on a l impression que la génétique est lointaine, mais non, elle est dans le soin aujourd hui. Elle indique les réponses aux traitements conventionnels, et parfois elle indique des traitements nouveaux, spécifiques. La génétique, au sens de génétique médicale, a fait de grands progrès également. On connaît aujourd hui maladies génétiques, et surtout on a derrière des possibilités assez vastes. Quand la maladie est grave et incurable au moment du diagnostic, au sens du terme de la loi, on peut être amené à proposer du diagnostic prénatal. Là aussi, les techniques ont évolué et on a franchi un certain nombre de paliers technologiques, pour répondre à votre question, qui sont du domaine d application. Il y a vingt ans, on nous disait : il y a les thérapies géniques, c est super ça va tout guérir, d autant que ça recommence un peu avec les projections que l on fait sur les manipulations du génome, mais ce que je voudrais dire, pour répondre à votre question, c est que les avancées sont là, et aujourd hui, encore une fois, tout cancer fait l objet d une analyse génétique, soit pour le pronostic, soit pour guider le traitement. «Peut-on parler d une véritable révolution génomique? Effectivement, la révolution est aussi dans les avancées technologiques. C est un exemple qui est souvent pris : il y a une trentaine d années, il a fallu un consensus d une trentaine de pays pour faire le séquençage du premier génome humain. Cette histoire a duré quinze ans. Nous, en France, on avait un bout du chromosome 17, c est-à-dire qu une toute petite partie de ce génome humain, et au bout de quinze ans on a publié la première séquence totale d un génome humain. Il a fallu une centaine d équipes, ça a coûté 3 milliards de dollars. Aujourd hui, n importe qui, ici, peut à partir d une goutte de sang connaître la totalité de son génome en 24 heures. Donc le progrès technologique est considérable. Mais ce n est pas tout. Derrière il y a un progrès des connaissances. Depuis vingt ou trente ans, on commence à comprendre. Il ne faut jamais dire que l on sait ; on sait que l on ne sait pas, mais on sait un petit peu quand même On a ces gènes et on commence à comprendre lesquels sont responsables de telle ou telle pathologie, en particulier pour le cancer. C est important. Donc il y a le progrès technologique d un côté, le progrès des connaissances de l autre et enfin il y a le progrès thérapeutique. C est-à-dire que l on connaît la cible mais, en plus, on a développé un médicament spécifique adapté et c est ce que l on appelle la médecine personnalisée. Pour chacun, nous avons, soit dans la tumeur, soit pour une autre maladie, un déterminant de la maladie qui est accessible à une thérapeutique spécifique. C est ce que l on appelle la médecine personnalisée.» On ne traite plus aujourd hui un cancer du sein, du côlon, du poumon sans une analyse génétique Jean Matouk avait déjà donné pour notre revue un article retraçant le parcours déjà séculaire de la télémédecine, originellement à destination des marins ou des habitants des îles n ayant pas un corps médical à disposition permanente. Aujourd hui, à son avis, la télémédecine apporte un changement important. «Je vais sans doute choquer beaucoup de gens en disant qu elle va transformer en partie la médecine en industrie. Pour une simple et bonne raison que ces machines que l on va utiliser pour la télémédecine, il va bien falloir investir pour les acheter et les amortir, c est-à-dire des processus économiques de style industriel. Alors comment? C est à cela évidemment qu il faut réfléchir. Je reviendrai après sur le danger que fait courir une telle vision, mais malheureusement elle s impose à nous : il va falloir amortir un matériel médical de plus en plus important, et là il y aura le problème du partage entre le patient, les complémentaires santé et la Sécu. Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon III
16 «Par ailleurs, je voudrais faire deux petites remarques. La première c est que, si la télémédecine n a pas été inventée pour résoudre le problème des déserts médicaux, elle va quand même servir très utilement à régler ce problème. D ailleurs, dans des pays à îles ou à déserts, comme par exemple le Danemark ou la Grèce, il ne peut pas y avoir un médecin sur chaque île, donc la télémédecine est déjà très utilisée là-bas pour cela. Je suis d accord pour dire que l usage de la télémédecine va surtout être destiné à améliorer la médecine, mais elle sera utile là aussi. Or, pour que cela marche bien, il faut inventer ce qu ont déjà fait des pays comme le Canada, l Australie, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande un corps intermédiaire d infirmières entre l infirmière de base et le médecin ; ça s appelle des infirmières praticiennes ou cliniciennes. Ce sont des infirmières qui étant dans une île par exemple, pour prendre ce cas, sont capables de faire des diagnostics, un certain nombre de prescriptions, et même un certain nombre d opérations à la place du médecin. Elles vont évidemment avoir un rôle très intéressant à partir du moment où il y aura la télémédecine ; elles auront aussi des instruments de radiologie, d échographie, elles feront des analyses biologiques, pourront effectuer quelques interventions, pour des fractures de membres, par exemple, tout ce qui n est pas trop difficile à exécuter sur place. Pour d autres problèmes, il faudra télétransmettre évidemment au médecin. J ajoute qu il ne faut pas confondre ce corps d infirmières avec ce qui existe déjà dans les La télémédecine va de plus en plus individualiser le diagnostic et le comportement de santé des gens hôpitaux : les cadres infirmiers, les infirmières-chefs, qui sont des postes plus administratifs. C est tout à fait différent. «La deuxième chose, c est que la télémédecine va de plus en plus individualiser le diagnostic et le comportement de santé des gens, grâce notamment aux objets connectés. Chacun va bientôt être capable d avoir en permanence ses constantes biologiques et biochimiques. Grâce aux montres connectées, aux lunettes connectées, aux ceintures connectées à tout un tas de choses connectées. Cela va évidemment être à la base de la télémédecine parce que tout sera centralisé auprès du médecin référent (ce qui d ailleurs reposera le problème du choix entre paiement à l acte et capitation) ou, en cas d ALD, du médecin spécialiste qui suivra le patient. Les patients vont être de plus en plus informés de leur état de santé, de l état de leurs constantes, et ce sera télétransmis à un médecin. Mais ce qui serait dans ce cas-là très important pour potentialiser la télémédecine, c est que les patients soient eux-mêmes beaucoup mieux formés sur le plan de la santé, de la biologie. On a des cours de sciences et vie de la terre, on a des cours de biologie ; combien, sur les 23 élèves d une classe de collège, vont un jour faire soit de l agro, soit de la biologie ou de la médecine? Disons 2 ou 3 %. Pour tous les autres, ce sont des cours qui ne servent pas à grand-chose ; alors que si on les transformait en cours d hygiène mais d hygiène expliquée : pourquoi faut-il faire du sport? pour telle ou telle raison physiologique, eh bien ce serait beaucoup plus efficace. Donc je pense, et c est la deuxième idée, que pour potentialiser la télémédecine il serait important de faire un enseignement obligatoire avec contrôle de l hygiène de vie, de la santé et d un minimum de thérapie, notamment pour l usage des antibiotiques dont tout le monde parle en ce moment.» [On a enfin pu joindre le Pr Guy Vallancien] M. Vacher : Guy Vallancien, bonjour, vous êtes avec nous au téléphone. Alors, cette révolution de la médecine est en cours, à quel rythme pensez-vous qu elle va se déployer? Est-ce que cela signifie que nous allons, à terme, vers une médecine sans médecins? Pr Guy Vallancien : «La vitesse de la mutation dans laquelle nous vivons est extrêmement rapide, ce n est pas demain, c est aujourd hui. Il y a toujours un décalage entre le développement technologique et son acceptation par les sociétés. Là, il se trouve que la croissance exponentielle de ce développement rend d une certaine façon encore plus difficile son ancrage dans la société. Une société bouge environ tous les trente ans, à raison d une génération, or là tous les six mois, voire même tous les trois mois, arrive quelque chose qui transforme complètement le paysage. Cela rend difficile politiquement la mise au point de systèmes pérennes. Il n empêche que nous ne reviendrons pas en arrière, et je suis terrifié de voir combien nos responsables politiques sont retardataires. Au-delà de la présidentielle, où les candidats ne se préoccupent guère de ces questions, l Association des maires des petites villes de France, vent debout, veut obliger à l installation forcée des médecins dans les petits villages. IV Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
17 C est la preuve qu un certain nombre de gens n ont pas compris ce qui se passe dans le monde, et je suis farouchement opposé à ce genre de politique, compte tenu du fait que nous avons tous les moyens de la télémédecine pour assurer le meilleur soin dans la ferme la plus reculée du plus petit hameau de France. C est un problème de volonté, et je ne comprends pas les maires qui sont arc-boutés sur les habitudes passées. Les jeunes médecins veulent travailler en groupe dans les maisons de santé et ils iront à partir de ces maisons de santé dans les petits villages où l on peut organiser une permanence à la mairie ou dans le relais de poste, où un infirmier ou un médecin pourrait se rendre chaque semaine. Je répète sans cesse qu il n y a pas de marché tous les jours dans les villages de France et que se nourrir est quand même vital. Donc je suis vraiment agacé par cette lenteur politique qui ne traduit que le ressenti d une certaine population souvent âgée qui ne comprend pas qu on ne puisse pas appeler le médecin à 11 heures du soir le samedi en frappant à sa porte. «C est une France qui est finie, c est une France terminée, alors qu on a tous les moyens véritablement de sauver les personnes, d aller dans quelque endroit que ce soit par hélicoptère. Nous avons un parc d hélicoptères considérable, sous-utilisé, si l on veut bien pooler à la fois la gendarmerie, les trois armées, le Samu, les pompiers, la Protection civile Nous n avons pas de politique de communication nationale en matière sanitaire. «Concernant la seconde question : Va-t-on vers une médecine sans médecins? Oui, en partie : nous allons vers une médecine sans médecins pour tout ce qui est des actes technologiques. Nous allons vers une médecine avec encore plus de médecins au sens de l intensité médicale pour tout ce qui est de la relation. Sur le plan technologique, cela fait près de vingt ans que j ai mis les mains dans un télémanipulateur chirurgical, et j avoue que je ne pensais pas à terme pouvoir travailler avec un outil aussi performant. Le vrai robot chirurgical arrive, c est la machine qui fera vraiment tout toute seule. Ces machines ont des avantages considérables : elles ne sont jamais fatiguées, jamais bourrées, jamais droguées, jamais dépressives, elles travaillent jour et nuit, ne sont quasi jamais en panne et elles ont une capacité d agir très particulière par rapport à l homme. Un robot, quand il ne comprend plus, s arrête. L homme, quand il ne comprend pas, est capable de pousser au-delà du raisonnable et d aller jusqu à la complication et à l accident. On voit bien, en tout cas en chirurgie, l aide vraiment importante qu offre la robotique, et il en sera de même dans tous les domaines de la médecine. Nous allons vers une médecine sans médecins pour tout ce qui est des actes technologiques DES ROBOTS TOUTES TÂCHES «Quatre hôpitaux américains ont été équipés du robot anesthésiste après autorisation de la FDA. Malheureusement, le lobby anesthésiste américain s est dressé vent debout contre cette initiative et a fait en sorte que Johnson & Johnson retire ses robots. Il est clair que la compétitivité des anesthésistes était en jeu : une anesthésie pour une coloscopie aux États-Unis coûte $, alors que le robot lui coûte 200 $ de l acte. Tout cela n est que temporaire. Nous avons affaire à une espèce de révolte mécanique, mais c est terminé : de toute façon, on utilisera des robots anesthésistes, qui fonctionnent très bien car ils injectent la dose juste, exactement ce qu il faut pour le malade, qui se réveille sur place et se lève tout seul après l opération. Vous avez le robot infirmier qui pique la veine mieux que n importe qui, le robot aide-soignant que Toyota vient de développer, le Human Support Robot, qui apporte de l eau aux malades alités, ouvre les rideaux, ramasse les objets tombés, apporte de la nourriture et les médicaments à l heure voulue. Les personnels soignants vont être dépossédés de tout ce qui est des éléments techniques. Le médecin lui-même, en termes de diagnostic, n interviendra quasiment plus, en ce sens que la machine va le faire pour lui en allant chercher des hypothèses auxquelles il ne pense pas. Très récemment, Google a battu un des meilleurs centres mondiaux de cancérologie dans le diagnostic d une maladie lymphocytaire rare. Il ne faut pas se leurrer, dans ce cas la machine fera mieux. Nous fonctionnons par algorithmes ; quand je fais un diagnostic, j agrège certains éléments, j en refuse d autres et j aboutis peu à peu à une construction qui me donne deux ou trois hypothèses pour arriver à la bonne. Eh bien, la machine fait pareil, et beaucoup plus vite. Elle peut aller ramasser, chercher, baliser la totalité des pathologies pour faire le bon diagnostic. nous allons vers une médecine avec encore plus de médecins pour tout ce qui est de la relation «Deuxièmement, l indication thérapeutique va être de plus en plus numérisée. Si vous prenez un cancer du rein, à partir d une biopsie, je regarde le génotype et ce génotype est fait de 3 milliards de bases : comment voulez-vous que je puisse analyser, moi, toutes ces bases? C est donc la machine qui va me dire que, dans tel génotype, on a intérêt à faire tel traitement à partir des datas qui ont été accumulées. Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon V
18 C est à nous de prendre la responsabilité de déroger à ces règles, de refuser ce que l on nous dit de faire, et c est pour cela que le médecin prête le serment d Hippocrate Je vais être aussi dépossédé en partie de l indication thérapeutique. Alors comme dans la chanson de Dutronc 700 millions de Chinois, et moi, et moi et moi que vais-je devenir, pauvre médecin? Eh bien, il va rester ce qui fait l essentiel de mon métier, ce qui fait la valeur ajoutée totale de mon métier : la capacité d accompagnement et la capacité de décision à l envers, c est-à-dire la capacité de transgresser les règles habituelles. Nous sommes de plus en plus, nous médecins, bornés par des normes, par des directives, par des guides de bonnes pratiques, de bonne conduite, depuis Bruxelles, le ministère, les ARS, les sociétés savantes Nous fonctionnons déjà sur une autoroute. Et de plus en plus nous aurons à fonctionner comme cela pour parfaire l Evidence-Based Medicine la médecine fondée sur les données probantes. Mais on sait bien tous, pour ceux qui consultent, que 10 à 15 % des patients que nous voyons, des malades, pour des raisons personnelles, familiales, socioprofessionnelles, culturelles ou religieuses, n entrent pas dans le moule que l on veut imposer par la science. Et ils ont raison. C est à nous de prendre la responsabilité de déroger à ces règles, de refuser ce que l on nous dit de faire, et c est pour cela que le médecin prête le serment d Hippocrate, et c est pour cela qu il doit être payé cher. C est une valeur chère d être capable de transgresser les règles établies pour s adresser à une personne unique qu est le malade en face de soi. On voit bien que c est un problème de confiance que l on n apprend jamais en fac de médecine et c est bien dommage, de même que l on n apprend jamais la communication en faculté de médecine, ni la psychologie et c est dramatique. Parce que ce n est pas en ayant des médecins avec un bac S et une mention très bien que l on sera les meilleurs relationnistes du monde. «Notre métier va devenir celui qu il aurait toujours dû être : le métier de la relation humaine la plus totale, de la relation personnelle la plus forte avec les malades, et avec leur famille. C est ce qu il y a de plus beau même pour un chirurgien comme moi. J ai développé plein d interventions, plein de techniques chirurgicales, mais le plus passionnant, et c est ce que je fais encore, j ai arrêté d opérer mais je continue à consulter. Nous allons devenir les bio-conseillers, les coaches des malades parce que nous serons les mieux à même de remettre en perspective ce qui leur arrive, de les aider, les rassurer quand il le faut, de parfois les pousser un peu quand ils ne font pas certaines choses qu ils devraient faire, de jouer vraiment ce rôle d accompagnateur le plus intime. C est sans doute le plus beau des métiers qui se dessine devant nous demain. Larguons les appareils, larguons les techniques! Nous aurons des ingénieurs opérateurs qui seront formés en cinq ans et pas en quatorze comme nous. Les ingénieurs opérateurs travailleront sur des aires anatomiques données, décidées, et avec des robots donnés. Et, lorsqu il faudra changer de robot ou d aire anatomique, ils auront à se recertifier, comme les pilotes. Les outils de la modernité numérique nous permettent ce transfert considérable de tâches vers des personnels qui ne sont pas forcément médecins. «On se dirige donc vers un système médical dans lequel, de l aide soignante au professeur de médecine, tous les métiers seront des métiers médicaux. Il faut cesser de parler de paramédical et de médical. Tous les métiers qui approchent des soignants, pour donner un soin, ne serait-ce que le fait de tenir la main à un malade, sont des métiers médicaux à responsabilité variable. Si l on fait ça, la communauté entière des soignants se retrouvera au lit du malade, et c est ce qu il faut faire. Voilà un peu ce qui se dessine sous l effet de ce tsunami numérique qui n est pas près de se terminer, mais je suis confiant dans l avenir. Plus nous serons devant des écrans, plus il y aura une demande de relations humaines, et c est ce qui va sauver les médecins, qui sont ceux et celles auxquels on s adressera. J en terminerai en disant ceci : il n y a rien de plus beau qu un malade en fin de consultation qui vous regarde dans les yeux et vous dit : «Et si c était vous, Docteur?» C est-à-dire qu il vous transfère toute sa confiance et vous demande de lui dire ce que nous ferions pour nous-même. C est cela la vraie médecine, c est ce qu il y a de plus difficile à faire, c est ce qui est le moins enseigné et c est bien dommage.» M. Vacher : Est-ce que ça signifie qu il faut revoir de fond en comble la formation des médecins? Pour Guy Vallancien, la réponse catégorique! est dans la question : «La formation est beaucoup trop longue, inutilement. Curieusement, les étudiants savent, la deuxième et la troisième année, qu ils ne font rien, mais ils ne veulent pas changer, pensant qu ils seront mieux payés s ils font des études longues. Ce qui est complètement faux, les personnels les mieux payés sont parfois des autodidactes entrepreneurs ou des gens qui ont fait cinq années d études en moyenne, deux ans de prépa et trois ans de grandes écoles. Nous sommes donc dans un faux-semblant incroyable : ils ne veulent pas non plus VI Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
19 de sélection, ce qui est ridicule parce que quand gamins et gamines se présentent en 2016 en faculté de médecine et que sont collés, à l année c est 470 millions d euros mis par la fenêtre pour rien chaque année. C est un des plus gros scandales que je connaisse et tout le monde s en fout, personne ne dit rien. Ces 470 millions d euros pourraient être transformés en bourses à nets pendant cinq ans pour ceux et celles dont les familles ne peuvent pas supporter des études longues. Cela permettrait de fournir bourses. C est une honte totale. UNE FORMATION MÉDICALE SANS QUEUE NI TÊTE «Premièrement, il faut sélectionner dès le bac en prenant toutes les filières de bac et pas seulement les filières S. Il faut prendre des philo, moi j en sors, des littéraires, des sciences économiques et des scientifiques. On prend les 25 % meilleurs de chaque filière et on est sûr d être égalitaire. Ensuite, on en sélectionne pour en avoir peut-être en première année mais pas près de , c est absurde. Puis on réduit la durée des études, on fait vraiment le LMD (licence, master, doctorat). Une licence à la fin de laquelle on choisit si on sera médecin généraliste, chirurgien, psychiatre, médecin de spécialité, médecin de santé publique, chercheur ou médecin d industrie, ou pourquoi pas encore, le journalisme. Et, à partir de là, les cursus ne seront plus les mêmes. Les branches sont différentes, on n a pas à apprendre la même chose quand on est urologue ou quand on est généraliste. Alors qu aujourd hui on attend six ans pour savoir par l échec, par un concours absurde j ai été deux fois correcteur de l internat, c est une honte!, on sélectionne par l échec les généralistes, ce qui est ridicule, alors que beaucoup de jeunes ont envie de faire de la médecine générale, il faut les former plus tôt. Et puis on poursuit en master, on a droit à un remords, en première année de master, si on s est trompé on peut revenir, changer de spécialité et ensuite on passe au doctorat. Il faudrait donc des études de 8 ans, comme le système européen y invite, et non pas cette folie d université qui dure. Enfin, il faut augmenter les tarifs. Je trouve scandaleux que l on en soit à 184 pour les trois premières années et 250 pour les deux années suivantes, c est une hérésie totale. On mettrait à ou l inscription en fac, personne ne trouverait rien à redire, tout le monde trouverait l argent, ce qui permettrait aux universités d être un peu moins pauvres que ce qu elles sont aujourd hui. Donc, effectivement, les études ne sont pas adaptées, j en ai parlé aux doyens, je trouve qu ils sont lents dans la démarche à comprendre, et pendant ce temps-là c est autant d années de perdues où les gamins vont être mis sur le marché après une formation trop traditionnelle. De plus, il n y a aucune formation numérique ni sur la façon de se comporter devant un écran, ce qui est utile Bref, je suis assez désolé de voir le retard que nous avons dans nos études.» À la question récurrente sur le problème des déserts médicaux, la distance avec la grande ville pour beaucoup de nos concitoyens, l avis de notre chirurgien est tout aussi formel : «Je ne suis pas sûr qu il y ait en France un village qui soit à plus de 150 km d un spécialiste, mais admettons. Ce qu il faut, c est couvrir le pays. Il faut complètement revoir l organisation, en ce sens que la médecine générale doit assurer un certain nombre de prestations de proximité, avec des médecins généralistes regroupés dans des maisons de santé. Il y en a à peu près aujourd hui Il en faut , dix fois plus. Il faut un plan quinquennal de maisons de santé ; c est un plan qui coûte des milliards d euros mais c est indispensable. À partir de quoi, entre infirmiers, kinés, podologues, psychologues, pharmaciens si besoin, et médecins, on peut avoir des consultations déportées, les spécialistes peuvent venir à la semaine, comme quand on va à l hôpital, on prend un rendez-vous tel jour, ou par télémédecine, on peut suivre extrêmement bien un certain nombre de malades. Un infirmier peut être en connexion avec un cardiologue pour faire, par exemple, une écho cardiaque sur un appareil présent dans la maison de santé. On peut tout organiser, tout téléguider, tout télétransmettre. Ça ne veut pas dire qu il ne faille faire que cela, mais à partir de ces îlots de proximité que sont les carrefour city ou carrefour country de demain, qui seront ouverts avec une amplitude suffisante pour assurer la prestation des médecins qui se relaient tout en ayant leur patientèle, vous pourrez très bien, en relais avec les infirmiers, Aujourd hui, par un concours absurde, on sélectionne par l échec les généralistes Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon VII
20 Moi, je m en fous de leur réélection, je veux simplement soigner au mieux les hommes, les femmes et les enfants de ce pays organiser la production médicale comme vous l entendez. Il faut donc passer d une médecine libérale solitaire, qui est morte malgré le fait qu elle ait bien duré, et je peux remercier les hussards blancs de la République qui ont fait un boulot formidable pendant des années, à 70 heures par semaine, sans compter, mais c est fini à la médecine entrepreneuriale, où ce sont les personnels des maisons de santé qui organiseront leur production médicale comme ils le veulent, ensemble, de façon à être efficaces auprès des malades, et en relais avec les cliniques et les spécialistes, soit en présentiel quand les spécialistes viennent, si nécessaire, soit en télétransportation, soit en télémédecine lorsqu on peut le faire. Éventuellement, nous aurons des voitures automatiques, des Google cars. Je vous signale que dans vingt ans nous ne conduirons plus, nous serons interdits de conduite car nous sommes dangereux : 94 % des accidents de voitures sont liés à des erreurs humaines. Nous arrêterons de conduire, les assureurs ne nous assureront plus quand les Google cars seront partout. Donc ce sera facile d aller chercher les gens, s il le faut, pour assurer les consultations. Il faut utiliser tous ces outils modernes pour justement renforcer le lien entre celui ou celle qui est le plus loin dans la vallée la plus reculée, et la technologie la plus innovante. C est tout à fait compatible, c est un problème de volonté politique et j en ai assez d entendre les sénateurs, les députés et les maires se rebeller contre ces données en disant qu il faut un médecin dans chaque village parce que c est important pour eux, pour leur réélection. Moi, je m en fous de leur réélection, je veux simplement soigner au mieux les hommes, les femmes et les enfants de ce pays, et pour cela il faut développer tous ces outils, former au mieux les gens pour les utiliser et ça marchera. Regardez ce qu il se passe au Canada, en Australie, en Suède, trois grands pays. En Suède, c est km de long, plus que la France, il fait noir trois mois de l année, avec 3 m de neige et moins d une heure de soleil par jour. Ils ont 18 maternités pour 9,5 millions d habitants. Il y en a encore 90 en Ile-de-France pour 12 millions d habitants. Où est l erreur? Là-bas, ce sont les régions qui organisent le transfert des femmes, qui passent huit jours à l hôtel avant le terme et qui accouchent avant de repartir dans leurs villages. Au Canada, les médecins généralistes ont des infirmiers dans les villages qui assurent la plupart des soins en connexion avec le médecin, et si ça ne va pas, soit le malade est envoyé à un centre médical, soit le médecin vient avec son hydravion pour voir ce qu il se passe. En Australie, dans le désert du bush, 50 avions sont prêts à décoller tous les jours pour aller sauver le fermier victime d un accident ou d un AVC. Nous sommes le pays le plus maillé de petites routes départementales et de chemins merveilleux, et nous râlons parce qu il faut tout avoir sur son paillasson. Nous sommes graves, comme disent les jeunes!» LES OUTILS DE LA TECHNOLOGIE SONT LÀ, MANQUE ENCORE LA DÉTERMINATION Quant à l échéance à laquelle le Pr Vallancien voit le développement complet de tout ce qui est télémédecine, téléchirurgie, télédiagnostic, le doute n est pas de mise : «Les outils, nous les avons. Regardez le Dossier médical partagé, c est une catastrophe! Une petite startup géniale, montée par un jeune chirurgien urologue, est en train de mettre au point non pas la carte vitale mais le passeport vital. Les malades auront des cartes sur lesquelles il y a aura tout, et ils pourront se brancher sur n importe quel ordinateur et auprès de n importe quel médecin. Cela va se faire dans les mois qui viennent, ces technologies-là ne demandent pas des années de développement. Mais nous ne voulons pas jouer ce jeu-là, les médecins les premiers! On a l impression de tout se faire piquer, que les big datas vont nous contrôler alors que c est tout à fait faux. La relation humaine, la personne que l on a en face de soi, est unique. Jamais un big data ne va écraser un malade, ce n est pas possible. On ne peut pas le dupliquer ni le cloner, et c est là notre force. Nous avons déjà les outils de la technologie et, si nous mettons du temps, c est parce que ça ne fonctionne pas dans nos têtes. Or on pourrait les appliquer tout de suite avec du très haut débit partout, ce n est pas difficile à faire. C est un problème de volonté politique. Le pays, malheureusement, est peu enclin à ce développement, alors que nous avons les meilleurs ingénieurs au monde, on se les arrache partout dans la Silicon Valley, à Shanghai, à Shen Zen C est incroyable de voir que les Français sont très bons en ingénierie et que, dans notre pays, on n aime pas cette technologie. C est impossible de vous donner une date, mais de plus en plus, quand on montre aux gens comment fonctionne la télémédecine, les relais par écrans, alternés avec le présentiel bien sûr, cela les rassure. Dans les maisons de retraite, les vieilles personnes sont tellement contentes de voir le médecin leur parler à l écran, sans forcément qu il leur touche la main. C est déjà beaucoup, beaucoup plus que de n avoir personne.»
21 Fin de cette conversation téléphonique passionnante et retour aux intervenants sur place. Interpellé par Jean-Pierre Vacher sur le rôle des élus dans le développement de l utilisation de la télémédecine, Jean-Louis Touraine, professeur d immunologie, se doit de répondre, également, en tant que membre du Parlement. S il est très largement d accord avec les propositions de son collègue Guy Vallancien, il constate que les responsabilités de cette lenteur relative sont largement partagées : «S agissant des politiques, il y a actuellement toute une catégorie de responsables politiques qui sont extrêmement volontaristes et qui sont très en avance, on le voit d ailleurs dans certaines des dispositions qui ont été prises dans la loi promulguée en janvier dernier, de très importants changements vont dans ce sens. De même qu une majorité d entre eux ne sont plus du tout adeptes de la solution du médecin dans chaque village, dans chaque quartier de banlieue Tout cela est derrière nous. Alors, qu il reste, dans la population générale et dans une partie presque équivalente des politiques, des retardataires sur ces visions, oui, c est authentique. Cela demande donc un important effort de pédagogie pour que ça se développe rapidement. LES PRÉLÈVEMENTS D ORGANES DANS LES ANNÉES SOIXANTE PRÉFIGURAIENT DÉJÀ LA TÉLÉMÉDECINE «J aurais tendance à indiquer que la télémédecine est une importante révolution qui ne s est pas faite en un jour. Elle existe depuis longtemps. Il a déjà été évoqué des pratiques qui remontent à plus d un siècle. Je vais donner un exemple dans celui des transplantations d organes à partir de donneurs décédés. Il a bien été nécessaire de créer, avant même le numérique, avant même les téléphones portables, une télémédecine. À la fin des années 60, il fallait, en quelques minutes, réunir toute une équipe médicochirurgicale, avec anesthésistes et biologistes, pour faire des tests. Ils devaient être prêts immédiatement, les uns à faire le prélèvement d organes sur le donneur, et les autres à opérer le receveur. Il fallait que le receveur lui-même puisse être convoqué en quelques minutes à l hôpital alors qu il était inscrit sur une liste depuis déjà plusieurs mois. Tout cela supposait des liens majeurs, qui à l époque se faisaient non pas avec des téléphones portables mais avec des systèmes certes mobiles, mais très volumineux, fixés dans des voitures. On avait déjà l usage des hélicoptères pour le déplacement des personnes. Tout cela s est mis en place et a évidemment bénéficié de tous les progrès technologiques d aujourd hui. Mais n insultons pas l avenir, les progrès de demain vont être si considérables que nos pratiques d aujourd hui paraîtront rapidement très ringardes. Il ne faut donc pas demander quand auront lieu les changements, c est un continuum. Chaque année, il y aura des avancées. Ce qui compte, c est la pente de progression : est-ce qu elle va être plus rapide? Je le pense, et j imagine que les retards que nous connaissons aujourd hui ne sont pas principalement le fait des élus au niveau national. Les progrès de demain vont être si considérables que nos pratiques d aujourd hui paraîtront très ringardes Parfois, le maire d un tout petit village, pressé par ses administrés, a tendance à entendre leur demande d avoir dans le village une pharmacie, un médecin à disposition, tout comme ils veulent un guichet de poste. Aujourd hui, tout cela n est plus possible comme cela le fut dans le passé. D ailleurs, on voit bien que cette nécessité correspond à une adaptation au monde moderne, tout simplement. «La télémédecine s associe au fait qu aujourd hui la volonté des médecins n est plus de s installer isolément, les jeunes médecins filles ou garçons qui sortent de la faculté disent tous qu ils veulent s installer en groupe, par exemple, dans des maisons de santé pluridisciplinaires. Je rappelle qu en cinq ans nous sommes passés de 100 à de ces maisons. On peut donc postuler que dans les cinq prochaines années on va continuer cette même progression. Ce ne sont plus dans chaque village des médecins, mais c est dans l un des villages une maison pluridisciplinaire qui rayonne sur un périmètre alentours. Il se passe la même chose dans les banlieues de nos grandes villes, et aussi parfois dans les centres-villes. De plus, les médecins de ces maisons ont besoin, plus aujourd hui qu hier, de conseils de spécialistes de plus en plus pointus. D où la nécessité de connexion par la télémédecine. Et quelquefois de connexion avec des images. Lorsqu une imagerie est effectuée, quand il s agit de quelque chose de très spécialisé, de maladies peu fréquentes, il faut demander l avis du spécialiste du CHU. L image peut alors être véhiculée par télémédecine. Même chose pour l anatomopathologiste, la biopsie est faite, vue par un premier anapath, qui la classe en plusieurs catégories et veut ensuite savoir si ce doit être dans telle sous-catégorie, de lymphome, de telle autre tumeur, etc. Alors, recours est fait à un avis spécialisé, sans déplacement, ni du malade ni de la pièce elle-même, puisque c est l image qui est transmise. Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon IX
22 Du côté des malades, eux aussi ont besoin de télémédecine car aujourd hui les soins sont de moins en moins apportés pour des maladies aiguës avec une guérison complète et rapide, il s agit de plus en plus de maladies chroniques. Et j ajoute aux maladies chroniques l âge avancé, puisque c est une forme de maladie chronique que de se retrouver à un âge avancé avec souvent la nécessité de prise en charge de plusieurs pathologies. Ces maladies chroniques, évidemment, ne peuvent plus être prises en charge de façon aussi individuelle pour chaque acte que par le passé. La télémédecine va permettre, au lieu d effectuer une succession d actes, de prendre en charge ces malades globalement. «Nous n avons plus du tout la même vision qu au milieu du XX e siècle, où l on rencontrait beaucoup moins de maladies chroniques. Et pourquoi sont-elles aussi nombreuses aujourd hui? Parce que les maladies qui, au milieu du XX e siècle, étaient mortelles ne le sont plus aujourd hui, mais elles se sont transformées en maladies chroniques. Cela est vrai en 1981 pour le sida, qui était mortel, et qui est devenu une maladie chronique à partir de C est vrai aussi Beaucoup de cancers, encore nombreux à être mortels il y a dix ou vingt ans, deviennent des maladies chroniques avec lesquelles il faut apprendre à vivre pour beaucoup de cancers, encore nombreux à être mortels il y a dix ou vingt ans, et qui, de plus en plus, deviennent des maladies chroniques avec lesquelles il faut apprendre à vivre, compenser les défaillances, les déficits, mais pour lesquels la survie se rapproche de la longévité normale.» La vraie nouveauté, c est la télémédecine pour la prévention, c est-à-dire pour maintenir tous les bien-portants dans un bon état de santé. Et dans ce domaine, Jean-Louis Touraine est bien forcé de constater que la prévention, en France, n est pas très avancée. À ses yeux, c est là que la télémédecine, grâce notamment aux objets connectés, devrait trouver son principal champ d activité. Il restera à en trouver le financement, qui ne sera pas une mince affaire : «Pour l instant, ce n est pas pris en charge, ou exceptionnellement dans de rares cas de maladies particulières. Mais, dans la grande majorité des cas, le médecin est payé à l acte, l hôpital est payé à l activité, et aucune de ces deux activités n implique le conseil qui est donné, tout le suivi qui est fait par téléphone, par mail, etc. Tout cela est fait bénévolement, ce qui rend difficile la pérennisation d un tel modèle. Il est donc indispensable de définir des modalités pour que cette activité soit prise en charge, et on n a pas encore trouvé le levier financier approprié.» X Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
23 Pour Guy-André Pelouze, «Guy Vallancien a une vision très large des choses, des solutions à tous les problèmes posés. Je vais rester très terre à terre car je suis un chirurgien en activité dans un hôpital non universitaire et je fais de la chirurgie de terrain. De plus en plus, la chirurgie vasculaire, où on ouvre, va disparaître car on transférera le malade directement dans des salles d opération qui coûtent 2 millions d euros et qui permettent de faire pénétrer des outils dans le système artériel veineux et de réaliser les interventions que je fais, moi, en ouvrant la peau et en allant attaquer directement le vaisseau, en créant des pontages, etc. C est la médecine nouvelle qui est en train de faire disparaître l ancienne. C est une destruction créatrice, un principe schumpétérien classique. Cela pose des problèmes énormes, parce que les personnes qui savent pratiquer les nouvelles interventions peuvent pratiquer les anciennes, mais l inverse n est pas vrai. Il faut se former pour cela, les infirmières ne sont pas les mêmes. Avant, le patient était sous anesthésie générale, maintenant il est sous anesthésie locale. La transformation est énorme. [ ] «Un petit rappel pour retracer les choses. La télémédecine peut être le télésuivi, la téléconsultation, la télé-expertise ou la télé-intervention. C est une classification qui met un peu les choses en place. Alors qu est-ce que le télésuivi? C est le patient qui envoie des signaux parce qu il a des implants connectés ou des appareils avec lesquels il peut prendre sa tension ou réaliser une analyse de sang. Il peut donc envoyer des signaux grâce à des réseaux, des sécurités À quoi ça sert? Une étude réalisée par des cardiologues français vient d être présentée à un congrès. Pour cette étude, on a demandé à des patients en insuffisance cardiaque de monter sur une balance connectée Withings. Votre médecin va voir que vous avez pris 3 kg en une semaine. Si vous avez pris 3 kg et que vous êtes insuffisant cardiaque, c est certainement de l œdème, donc vous êtes en train de faire une décompensation. On a pu de cette façon éviter des hospitalisations et donc des décompensations graves, avec cette chose très simple, la balance connectée. Ça peut être aussi d autres choses : AVC, infarctus tout ça afin d éviter l hospitalisation et d agir en amont. «La téléconsultation : le médecin et le patient ne se déplacent pas, ils se voient de la même façon que l on a tenté de le faire avec Guy Vallancien, et puis un robot peut examiner le malade. À la Mayo Clinic actuellement, des chirurgiens visitent leurs malades en fonction des données qui leur sont fournies par des robots. «Ensuite, il y a la télé-expertise : c est partager des documents pour aboutir à un diagnostic plus pertinent à plusieurs. Cela suppose que l on ait un dossier électronique. On a beaucoup investi mais on n a pas encore accouché d un dossier électronique. Mais ça va peut-être venir «La télé-intervention, c est un peu comme prendre la main sur un ordinateur à distance. C est de la robotique de précision. Les robots sont en train de devenir beaucoup plus performants, mais pour l instant ce sont quand même des techniques qui sont très médiatisées et peu utilisées. Parce qu en réalité il y a encore suffisamment de chirurgiens, et d autre part les robots ne sont pas suffisamment pointus, pertinents ; ça avance mais c est quelque chose d assez complexe à développer.» LA TÉLÉMÉDECINE FAIT GAGNER DU TEMPS, OR LE TEMPS C EST DE LA VIE, EN MÉDECINE Voilà le panorama idéal de la télémédecine, mais son état actuel est beaucoup plus contrasté. Pour l heure, les infirmières utilisent le smartphone pour transmettre des photos de plaie et avoir rapidement un avis du chirurgien, mais cette transmission d images doit encore énormément se développer afin que des images de scanner, par exemple, puissent être rapidement interprétées par des spécialistes pour expédier le patient très vite, en grande sécurité, au bon endroit et du premier coup, conditions indispensables pour lui donner les meilleures chances de survie. «Quant au suivi des patients chroniques, ça marche un petit peu, surtout en cardiologie, en pointe pour ses pacemakers et ses défibrillateurs mais aussi pour l automesure de la tension, les systèmes de télémétrie de l ECG, etc. On peut dire que cette télémédecine, qui n a pas de moyens, a déjà sauvé des vies. C est déjà pas mal.» Pour résumer : «La télémédecine n est surtout pas la panacée. C est une technique qui a pour but d améliorer la qualité des soins, d améliorer le diagnostic. Nous serons plus performants en télémédecine parce que nous aurons accès à des images, on verra le malade plus tôt, donc on sera plus pertinent. Le traitement, sa pertinence, sa compliance, ses effets secondaires vont être beaucoup plus faciles à rapporter. Y compris par les gens qui ne sont pas médecins (infirmières cliniciennes, etc.). Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon XI
24 Enfin, nous allons agir dans le temps. La télémédecine fait gagner du temps, or le temps c est de la vie, en médecine. L individu qui consulte tôt, qui évite l AVC, c est une vie sauvée. Mais celui qui n a pas consulté au stade des accidents ischémiques transitoires et qui fait une hémiplégie, c est une vie bousillée, et je ne parle même pas des conséquences économiques. Il est très important d agir précocement, vite et en amont des événements cliniques. [ ] Le credo de la télémédecine : nous devons amener la salle d examen là où se trouve le patient.» Avec la médecine prédictive et personnalisée, on s écarte un peu de l objet précis du colloque mais on entre dans un domaine tout aussi vaste dans l ordre des possibles. Pour le Pr Pascal Pujol, ces deux qualificatifs «correspondent tout simplement à l utilisation de caractéristiques génétiques d une personne pour faire soit du dépistage et de la prévention c est la médecine prédictive, soit pour faire du traitement on appelle cela la médecine personnalisée». «Donc en fait, nous faisons de la médecine, et on pourrait supprimer les qualificatifs ; ici, on dira que c est l utilisation de cette génétique pour faire de la médecine. Sauf qu aujourd hui ces possibilités sont assez élevées, et elles se développent très vite parce qu il y a conjonction et concordance de trois choses : la technicité qui a avancé, le progrès des connaissances, et les possibilités que l on a d avoir des traitements spécifiques que sont les thérapies ciblées.» Ainsi, dans la connaissance des maladies génétiques, on en dénombrait en 2007, on en est à en 2016, et comme «d autre part nous avons des thérapies spécifiques qui se développent sans cesse, on avance d un même pas en médecine. La conjonction des outils technologiques, des connaissances et des thérapeutiques nous permet d obtenir des progrès considérables. «Deux exemples ici, le cancer du sein : on va voir comment cette génétique a permis d améliorer le traitement et la prévention, et deuxièmement un petit exemple de médecine dite prédictive. Pour le cancer du sein, il y a deux choses en relation avec la génétique : les prédispositions héréditaires, avec le gène BRCA qui prédispose au cancer du sein. Si l on a cette information, on va s en servir pour faire du dépistage et de la prévention. Mais aussi, le cancer du sein qui n est pas génétique mais qui contient dans la tumeur des informations génétiques que l on va utiliser, soit pour ces thérapies ciblées, mais aussi pour savoir si les traitements conventionnels sont efficaces et s ils sont utiles. La génomique peut nous aider à dire : «Cette femme, qui a un cancer du sein, a un excellent pronostic, ce n est pas la peine qu elle reçoive de la chimiothérapie.» Un des cancers du sein que l on connaît bien, qui n est pas familial, présente, chez 20 % des femmes, un marqueur génétique hyper-exprimé dans la cellule : en s exprimant trop, il fait proliférer la cellule, et le cancer se développe. On a pu élaborer des anticorps qui vont s opposer à l action de ce marqueur, et en faisant cela nous obtenons une grande efficacité : l adjonction du médicament ciblé, qui est donc un anticorps, diminue les récidives de 50 %. C est absolument considérable, aucune chimiothérapie ne fait ça. Quand cela a été présenté aux confrères américains de cancérologie en 2006, les médecins se sont levés dans la salle. Parce qu on n avait pas encore vu ça en médecine, un médicament qui diminuait de moitié le taux de récidive, qui sauvait donc une femme sur deux. C était une avancée considérable, mais qui a maintenant dix ans, et qui a préfiguré ce que l on voit aujourd hui sur une centaine de thérapies ciblées dans différents organes, à savoir une piste génétique pour un traitement particulier. DÉLIMITER LES FEMMES QUI ONT BESOIN DE LA CHIMIOTHÉRAPIE DE CELLES QUI N EN TIRENT AUCUN BÉNÉFICE «Une autre chose qui s est développée sur les vingt dernières années, c est une espèce de photogénétique de la tumeur, ce qu on appelle le profil génétique, les puces ADN : vous faites une photo de la tumeur et, en fonction de cette photo, vous pouvez évaluer le profil de la tumeur, savoir si elle a un bon ou un mauvais pronostic. On peut ainsi savoir si une tumeur a une probabilité de récidive forte et des risques de faire des métastases. C est très intéressant en clinique parce que les marqueurs dont nous disposons aujourd hui clinique, l examen microscopique de la tumeur, la biologie nous renseignent sur un pronostic, mais pas parfaitement. Il est donc très important de délimiter aussi bien les femmes qui ont besoin de la chimiothérapie que celles qui n en tirent aucun bénéfice, et il y en a plus de 80 %! Or ce marqueur, vous le voyez sur ces études prospectives, dans le groupe dont le score est bas et même chez les femmes qui ont un envahissement ganglionnaire, 99 % d entre elles sont sans récidive XII Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
25 à cinq ans, sans chimiothérapie : ces femmes n ont donc pas besoin de chimiothérapie! Le bénéfice de la chimiothérapie est d à peu près 10 %, donc une femme sur bénéficierait de la chimiothérapie, tandis que les 999 autres recevraient inutilement une chimiothérapie, avec tout ce que cela comporte comme effets secondaires immédiats et tardifs potentiellement graves. «Ces signatures se développent également aujourd hui pour la prostate. Nous avons une problématique de surtraitement. Il nous faut des outils pour dire : c est bien un cancer de la prostate, ou un cancer du sein, mais il n est pas grave et on peut faire ce que l on appelle en médecine une désescalade thérapeutique. Enfin, toujours pour le cancer du sein, BRCA1/BRCA2, ce n est pas du tout quelque chose de nosologique. La détection d une mutation BRCA1/BRCA2, c est un gain de survie par le dépistage et la prévention de 20 %. On peut donc sauver une femme sur cinq, ce n est pas un luxe, une lubie génétique, si cette femme a une prédisposition, comme Angelina Jolie, au cancer du sein et de l ovaire Je vous parle là simplement de dépistage et de prévention, pas de chirurgie préventive mammaire. Vous appliquez simplement la mammographie et l IRM et la chirurgie ovarienne à la ménopause et vous sauvez une femme sur cinq. Vous voyez donc que le bénéfice médical est avéré. «Le dernier volet, ce sont les thérapies ciblées, on en a une pour le cancer de l ovaire avec BRCA, et aujourd hui tout cancer de l ovaire c est une nouvelle recommandation de l INCa doit faire l objet d une analyse génétique des gènes BRCA, parce que si c est le cas vous avez accès à un traitement extraordinaire : 82 % des femmes métastatiques pour un cancer de l ovaire y répondent, ce qui est vraiment considérable en oncologie. Donc cette oncogènomique est partie dans beaucoup de cancers : le sein, le poumon, l ovaire, le côlon, les tumeurs cérébrales, les leucémies LE DIAGNOSTIC PRÉNATAL DE LA TRISOMIE 21 PERMETTRAIT AUJOURD HUI DE FAIRE L ÉCONOMIE DE L AMNIOCENTÈSE «Pour finir, un petit exemple sur la médecine prédictive. Qu est-ce que c est? Très simplement, c est avoir un marqueur qui donne une forte probabilité d une maladie pour laquelle on a quelque chose d actionnable, c est-à-dire une stratégie médicale bénéfique. Je vous donne juste un exemple, celui du diagnostic prénatal de la trisomie 21. Je le trouve bien car il n est pas très discutable, à mon avis ; par contre, nous pouvons toujours discuter, aujourd hui, du dispositif actuel. «On a décidé que pour des femmes qui avaient un risque élevé, soit plus de 1/250 d avoir un enfant trisomique, on proposait un diagnostic génétique de la trisomie 21. C est laissé à la liberté du couple, sauf que 90 % des femmes à qui on annonce qu il y a un risque souhaitent savoir. A ce moment-là, on fait un petit geste qui n est pas anodin, c est l amniocentèse, soit une ponction du liquide dans lequel baigne le f?tus. C est un examen qui n est pas dénué de risques puisqu il entraîne 0,5 % à peu près de fausses couches, 0,5 à 1 % selon les équipes. Sauf qu en France nous faisons amniocentèses pour le dépistage de la trisomie 21, ce qui signifie que l on perd quelque 100 enfants indemnes, qui n ont pas la trisomie (puisqu il y en a 1 sur 250). Les marqueurs de risque pour lesquels nous avons défini ce risque sont les suivants : l âge maternel, si vous avez plus de 37 ans, les signes échographiques nous en avons décrit un certain nombre, ils ont une certaine valeur mais ce n est pas parfait ; et puis il y a des marqueurs biologiques, essentiellement deux protéines qu on dose dans le sang. Il faut voir la sensibilité de l amniocentèse : quand vous faites une amniocentèse, vous détectez une trisomie 21 une fois sur trente, ce qui signifie que la sensibilité est d environ 3 %. Aujourd hui, et depuis Quand vous faites une amniocentèse, vous détectez une trisomie 21 une fois sur trente, ce qui signifie que la sensibilité est seulement d environ 3 % quatre ans, nous avons accès à ces données : vous avez un marqueur dans le sang circulant de la femme de trisomie 21, mais ce n est pas véritablement un marqueur, c est réellement la trisomie 21 de l enfant que vous détectez. Ce n est pas un marqueur indirect, vous détectez l ADN du bébé dans le sang de la mère. Automatiquement, vous avez une sensibilité quasi parfaite et une spécificité quasi parfaite de 99 %. Dès lors, il ne faut pas réfléchir très longtemps pour se dire : si cela est valide médicalement, pourquoi continuons-nous à faire des amniocentèses? Nous sommes tous d accord là-dessus, le Conseil national d éthique a rendu un avis favorable en 2013, en disant qu il fallait le faire, mais nous pouvons continuer à dire qu il y a une lenteur de transfert de la part des pouvoirs publics, c est sûr. Il y a des enjeux économiques considérables, c est beaucoup d argent. Heureusement, les prix de cette génétique décroissent très fortement. C était $ il y a 4 ans, 600 $ l an dernier, c est 300 $ cette année. Cela va contrebalancer un petit peu cette grande problématique du transfert de l innovation. Concernant le co-paiement, à mon avis, il y a des solutions à trouver sur la participation des différents acteurs de la prise en charge, y compris des mutuelles et des assurances. Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon XIII
26 Car derrière, il y a des coûts très élevés aussi, ce sont les coûts pour la Sécurité sociale et pour les assurances. La naissance d un enfant qui a un handicap n est évidemment pas rien. Et même les amniocentèses ont un coût, tout comme les chimiothérapies. Le test que j ai évoqué coûte $, mais il évite une chimiothérapie. Alors c est bien en termes de santé, mais en termes de coûts aussi. C est cher une chimiothérapie, les produits sont chers, l interruption sociale est chère ; ce sont des femmes qui sont souvent en activité professionnelle. Nous avions relayé ça dans la presse et en avions parlé au journal de 20 Heures. Aujourd hui, il faut que les patients eux-mêmes soient au fait de cela et qu on puisse leur dire assez distinctement ce qui est d utilité médicale vraie et ce qui ne l est pas. Car voilà des exemples très forts mais il y a beaucoup de choses qui ne servent à rien et je vais finir là-dessus. Il faut qu on puisse dire distinctement aux patients ce qui est d utilité médicale vraie et ce qui ne l est pas «La médecine prédictive, c est une équation dans laquelle trois choses doivent être prises en compte. L évaluation du risque : ce n est pas pareil d avoir un risque de 80 % du cancer du sein au regard de certains tests qui vous annoncent un risque augmenté d Alzheimer, mais de 1,4 par rapport à la population générale, soit 2 %, alors que BRCA1 représente 80 %. Le risque est quelque chose de quantifiable, ce n est pas une notion de tout ou rien. Il faut tenir compte également de la gravité. Ce n est pas pareil d avoir un risque de diabète et un risque de cancer du pancréas. Enfin, ce que nous évoquions tout à l heure sous le terme d actionnabilité, c est bien d avoir une notion de risque, mais ce n est important que si nous pouvons faire quelque chose. Cela ne me sert pas grand-chose de savoir que j ai un risque fort de démence à 60 ans : personnellement, je préfère ne pas trop le savoir ; qu est-ce que je vais faire? des Sudoku toute la journée? Mettons tout cela sur un schéma : posons la quantité et la gravité du risque sur l axe vertical et, sur l axe horizontal, les capacités d action médicale, l actionnabilité. Maintenant, prenons quelques exemples de maladies, afin d avoir des données assez précises. On peut réaliser un classement en deux ou trois catégories. Premièrement : un risque très fort mais une capacité d intervention médicale très forte également. Parfois, avec un régime alimentaire. C est magnifique, vous évitez par une mesure préventive simple une maladie grave. Ça vaut le coup. Autre cas de figure, avec les exemples de schizophrénie, d Alzheimer : le marqueur vous donne une probabilité de risque faible et pas d action. C est le pire des cas, on va vous stresser pour un risque faible et sur lequel on ne peut pas agir. C est la pire des situations. Ensuite, la situation intermédiaire, avec un risque assez élevé et des actions médicales qui ne sont pas parfaites mais qui s affinent au cours du temps : le cancer colorectal, 70 % de probabilité, oui mais la coloscopie fonctionne très bien pour le dépistage et la prévention du cancer du côlon. Enfin, dernière situation, vous avez un risque de maladie très grave et parfois de 100 % : par exemple, la chorée de Huntington, une démence qui arrive vers 40 ans et qui se développe chez 100 % de gens porteurs de la mutation. C est réglé comme une horloge, ils vont très bien, ils ont toutes leurs facultés mentales et, à partir de 40 ans, ça part très mal. Autre exemple, la mucoviscidose. Certes, nous avons fait des progrès sur cette maladie, l espérance de vie s allonge, mais enfin, tout de même, ça reste une maladie mortelle. Ce qu on peut faire aujourd hui, en l état actuel de nos connaissances, c est proposer aux couples qui ont eu un enfant atteint, ou qui ont une histoire de démence familiale, de les aider à avoir un enfant à naître non porteur de l anomalie. C est dans ce cadre-là que nous effectuons un diagnostic prénatal. Autrement dit, on va sélectionner un enfant à naître qui n est pas porteur de cette maladie grave et incurable au moment du diagnostic. C est le terme de la loi, et donc nous avons des autorisations pour certaines de ces maladies très graves. J en ai terminé, merci beaucoup.» C est à Jean Matouk de conclure, en revenant sur les aspects financiers de la télémédecine. Après avoir rappelé les notions de ce qu est la capitation, par rapport au paiement à l acte, Jean Matouk analyse pourquoi celle-ci est plus adaptée au suivi médical des très jeunes, jusqu à l adolescence, et aux personnes âgées de plus de 60 ans. A son avis, «cette capitation est beaucoup plus favorable à la prévention, pour une raison très simple, c est que le médecin qui vous a en capitation a avantage à ce que vous soyez bien-portant. D ailleurs les Chinois, au temps des Ming, avaient inventé l autre système, qui consistait à payer le médecin toute l année, sauf quand vous étiez malade. Ce système, je ne crois pas que vous seriez beaucoup à l accepter, mais par contre la capitation est tout à fait préférable pour la prévention, et je crois que ce sera encore plus vrai avec la télémédecine. «Clairement, la télémédecine va mettre en œuvre des matériels médicaux, dans les centres de soins, dans les hôpitaux et chez les médecins, donc : investissements puis, ensuite, usage. Pour l usage, Pascal Pujol a très bien dit qu il y avait deux cas, XIV Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
27 très clairs, mais que le co-paiement du malade, le reste à charge, devait évidemment augmenter pour ce qui est de la prévention. Je vais donner un exemple simple, il faudrait que tout le monde fasse 30 ou 40 minutes de vélo ou de jogging par jour : la médecine ne va pas vous payer le vélo d appartement, cela reste à la charge du patient. Mais on comprend bien que le co-paiement va être évident. Comment on investit? Les hôpitaux et les cliniques continueront comme ils font aujourd hui. Il faudra que les médecins aussi acceptent de faire des investissements. Nombre d entre eux acceptent déjà avec des matériels compliqués, mais quand je vois que seulement 40 % des médecins ont un ordinateur et acceptent de se porter volontaires pour le Dossier médical personnalisé parce que les autres ne veulent pas s équiper, c est tout de même inadmissible. Il faut bien comprendre qu avec la télémédecine il y aura des investissements à faire. Les cliniques et les hôpitaux y sont habitués, mais les patients et les médecins devront le faire aussi.» Un aspect de la télémédecine l inquiète pourtant, comme l inquiétait également l évolution possible vers une forme de totalitarisme du transhumanisme, objet du colloque de l an passé. Il évoque à cet égard l ouvrage de Michel Foucault, Naissance de la clinique, paru en 1963, dans lequel l auteur décrit «comment il voyait la naissance de la médecine clinique au XVIII e siècle. À cette époque, il avait défini la biopolitique, c est-à-dire le fait qu au fond les pouvoirs publics, de même qu ils s intéressaient aux gens dans leurs relations, dans leur organisation sociale, dans le vivre ensemble, s étaient mis à s intéresser, dès cette époque, et de plus en plus, à la santé en général. Ce qui est une bonne chose, puisque c est de là qu est née la santé publique. «Avec la télémédecine évidemment, la fonction de santé publique peut être largement améliorée. Mais le même Foucault a écrit un autre livre qui s appelle Surveiller et punir, à propos des prisons. Le risque que nous avons, et il faut le dire en conclusion, c est aussi que l on passe à surveiller et soigner. Que surveiller et soigner devienne surveiller et punir, c est-à-dire qu éventuellement un pouvoir quelconque, qui peut-être non politique et extérieur, se saisisse de toutes les données qui vont circuler à partir des objets connectés pour surveiller les gens individuellement et asseoir, un jour, un pouvoir qui sera vraiment un pouvoir biopolitique. Quand on voit des tendances comme ce que vient de proposer Generali qui paraît comme assez logique finalement, c est-à-dire proposer des tarifs moindres à l assurance pour les patients qui respectent les exigences médicales, à la limite, cela ne me choque pas encore, puisqu on est dans la même logique que l assurance automobile, mais ça peut être un pas vers un pouvoir dictatorial qui va beaucoup plus loin que le pouvoir sur les hommes puisqu il concerne les corps, et ce serait l extrême de la biopolitique. Donc la télémédecine oui, avec la formation partout et l investissement, mais toujours le souci éthique de sauvegarder la liberté individuelle.» Venait ensuite un long dialogue avec le public dont, faute de place ici, nous n'avons pu conserver que quelques échanges, mais qui figure intégralement dans les actes du débat, qui seront publiés avant la fin de cette année. Tous ceux qui voudront s'y reporter pourront en faire la demande auprès de la direction de la MTRL. DES QUESTIONS DE LA SALLE KL Une première adresse au Pr Pujol : «J ai posé la question à mon médecin pour éventuellement avoir mon génome, il ne m a pas répondu. J aimerais savoir combien cela coûte, à qui il faut s adresser, quels sont les médecins qui peuvent analyser les résultats? Pr Pujol : «Votre question est excellente et, à mon avis, elle préfigure des questionnements sociétaux que l on va avoir sur l usage du génome comme moyen de prévention sur des choses que l on ignore. Aujourd hui, il faut un point d appel pour motiver l indication d une analyse génétique. Sur le territoire français, il faut rendre grâce, à mon avis, à ce qui a été fait sur l accessibilité pour les informations génétiques actionnables sur un plan médical. En fait, vous ne le savez pas mais aujourd hui toute femme qui a un cancer du sein, toute personne qui a un cancer du poumon, a une analyse génétique. Une personne ne vous adressera en consultation génétique que si il y a des raisons médicales pour le médecin. Par exemple, une forte histoire familiale de cancer du côlon ou de cancer du sein. Cela ne doit pas être votre cas Monsieur, et votre médecin n a pas retenu, à l interrogatoire ou à l examen, une raison médicale qui nécessitait une indication d analyse génétique. Mais cette question que vous posez, il va falloir se la poser car nous voyons bien que nous avons dans l information de plus en plus de choses actionnables. Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon XV
28 À l occasion du Congrès de médecine génomique, nous allons éditer des recommandations un peu particulières et ce sont les premières en France. On fait des analyses de génome complet aujourd hui, dans le cadre d indications particulières médicales, par exemple les maladies de l enfant, quand nous n avons pas de diagnostic : il est important d avoir un diagnostic, donc on séquence tout. Pour la tumeur, nous allons de plus en plus vers des séquençages très importants et, finalement, nous avons énormément de données sur l individu, mais aujourd hui on ne sait pas quoi en faire. «Certains, très progressistes, disent qu il faut tout rendre, d autres, très protectionnistes, disent : Attention au nom de la liberté, c est Bienvenue à Gattaca, etc. Mais lorsque vous avez l information que vous avez une mutation BRCA, ça veut dire que la prise en charge dépistage et prévention va vous sauver la vie une fois sur cinq. Il est donc difficile d imaginer de ne pas rendre cette information-là à la personne puisqu elle a une actionnabilité. Cette question est donc extrêmement pertinente et il va falloir aujourd hui une réflexion à la fois médicale, éthique et sociétale pour cet accès à son propre génome.» Une autre interrogation dans la salle, de même nature, signe d une très grande curiosité sur le potentiel de la médecine génomique : «Vous avez dit que le gène BRCA était prédictif du cancer du sein et de l ovaire. Est-ce que ça voudrait dire que toutes les femmes ayant un antécédent familial de cancer du sein devraient faire leur analyse génomique? Pr Pujol : «Nous organisons un congrès jeudi prochain à Paris qui s intitule BRCA, qui a une partie médicale et qui va réunir une centaine de personnes porteuses. La question centrale est celle que vous posez : jusqu où faut-il étendre les indications d analyses? L historique de ces indications n a fait que s élargir sur les quinze dernières années parce que, de façon concomitante, on avait une avancée sur les propositions. On savait que l on sauvait des vies avec le dépistage, avec la chirurgie ovarienne en ménopause et d un autre côté on s apercevait qu avec une histoire familiale de dix personnes c était facile mais que l histoire familiale était souvent beaucoup plus pauvre, voire inexistante. Les indications se sont élargies, par exemple à des cas isolés de femmes qui ont un cancer du sein avec une tumeur qui ne présente pas de récepteurs hormonaux ou bien encore avec une tumeur avant l âge de 40 ans. Pourquoi? Il faut comprendre que, dans cette prédisposition familiale qui est de la génétique typique, la prédisposition peut être héritée de la mère, et auquel cas la mère a souvent un cancer du sein, mais elle peut aussi être héritée du père, une fois sur deux. Donc parfois vous n avez aucune histoire familiale. Si le père l a reçue de son père ou s il n avait pas de sœur, il n y a pas d histoire familiale. «Donc finalement, la question se pose aujourd hui comme vous l indiquez, de savoir jusqu où on va. Je pense qu on ira rapidement vers toutes les femmes qui ont un cancer du sein. Parce que, parallèlement, se joue le progrès du traitement lié à l information BRCA. On va dire assez rapidement que, pour bien traiter un cancer du sein, il nous faut l information BRCA parce qu on sait que c est plus sensible aux sels de platine, qui est une drogue de chimiothérapie, et qu on perdra donc un peu de la pertinence du programme de soins si on n a pas l information. Je pense que cela va se faire assez vite. Hier, je disais à la personne de la communication de l association BRCA France que la question de savoir à qui on propose le test et quelle est l extension souhaitable en population est une réflexion à la fois médicale et sociétale. Mary-Claire King, la chercheuse qui a découvert les gènes BRCA et qui a été femme de l année aux Etats-Unis, a eu un éditorial dans le New England Journal of Medicine, qui est une revue de référence, où elle préconise de faire le test en population générale. Mais à mon avis c est une réflexion globale à mener avec les patientes, les tutelles, les médecins pour voir jusqu où on pousse le curseur de cette indication que vous mentionnez là.» Il ne restait plus alors à Romain Migliorini que de clore la réunion en remerciant intervenants et participants venus en grand nombre pour cet exercice de réflexion collective. Prochain rendez-vous, octobre CD XVI Sixième colloque d économie de la santé organisé par la MTRL et l association Charles-Gide le 8 octobre 2016 à Lyon
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