Le directeur de la sécurité sociale, Franck Von Lennep, a reconnu sous serment le 27 juillet dernier, devant la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée sur la fraude sociale, que 73,7 millions d’individus percevaient des prestations sociales et avaient des droits ouverts, alors que la France - faut-il le rappeler?- ne compte que 67 millions d’habitants.
Avec à la clé l’évaporation de plusieurs dizaines milliards d’euros, eu égard aux 787 milliards de prestations distribuées à l’année.
La plupart des sommes fraudées sont transférées hors de France. Or, des raisons diplomatiques peuvent conduire la France à ne pas pointer du doigt les pays dans lesquels ces sommes finissent par arriver.
Enfin, la fraude sociale permet d’acheter la paix ... sociale dans les quartiers où les trafics fleurissent, principalement de stupéfiants.
«La lutte contre la fraude sociale est aussi nécessaire que la lutte contre la fraude fiscale»
FIGAROVOX/TRIBUNE - Il n’y a pas d’un côté la fraude des «petits», qui serait pardonnable, et de l’autre la fraude des «gros», seuls à mériter la sévérité. Les deux doivent être combattues avec une même fermeté... qui fait défaut dans les deux cas à l’heure actuelle, argumentent le professeur Frédéric Douet et le magistrat Charles Prats.
Frédéric Douet est professeur à l’Université Rouen-Normandie, auteur de L’Anti-Manuel de psychologie fiscale (Enrick B Éditions, à paraître le 25 août). Charles Prats est délégué de l’Association professionnelle des magistrats, auteur du Cartel des Fraudes (éd. Ring, à paraître le 17 sept).
Les gouvernements successifs ont toujours eu des difficultés à justifier une augmentation croissante des prélèvements obligatoires. Aujourd’hui il s’agit de faire accepter aux Français que la part des dépenses publiques dans la richesse nationale atteint des sommets - en l’occurrence 66 points de PIB à la suite des trois lois de finances rectificative pour 2020 - alors que dans le même temps ceux-ci ont le sentiment que la qualité des services publics ne cesse de se dégrader.
La technique consiste à allumer des contre-feux afin de détourner l’attention des contribuables, d’où son nom de «technique du pickpocket» en psychologie fiscale. Rien de nouveau. Pour contrebalancer d’impopulaires hausses d’impôts consécutives à la crise de 1929, le gouvernement Herriot eu l’idée en 1932 de faire saisir plusieurs carnets dans les locaux parisiens de la Banque commerciale de Bâle, carnets dans lesquels figuraient les noms de deux milles titulaires de comptes situés en Suisse et non déclarés en France. Le grand public découvrit alors que parmi les contribuables peu scrupuleux figuraient des anciens ministres, des parlementaires, des officiers supérieurs et même… deux évêques.
La stigmatisation de la fraude fiscale et de l’évasion fiscale aurait des vertus apaisantes. Tel est le cas avec la bataille fiscale menée contre les GAFA.
À l’inverse, la fraude sociale, notamment aux prestations, est nettement moins pointée du doigt alors qu’elle cause des ravages peut-être plus importants que la fraude fiscale. Sans entrer dans des chiffrages qui suscitent des réactions épidermiques, il suffit de rappeler que le directeur de la sécurité sociale, Franck Von Lennep, a reconnu sous serment le 27 juillet dernier, devant la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée sur la fraude sociale, que 73,7 millions d’individus percevaient des prestations sociales et avaient des droits ouverts, alors que la France - faut-il le rappeler?- ne compte que 67 millions d’habitants. Avec à la clé l’évaporation potentielle de plusieurs dizaines milliards d’euros, eu égard aux 787 milliards de prestations distribuées à l’année.
La question est de savoir s’il existe une volonté de lutter réellement et systématiquement contre ces fléaux que sont les fraudes fiscale et sociale. Plusieurs raisons permettent d’en douter.Au-delà des gesticulations politiciennes, la question est de savoir s’il existe une volonté de lutter réellement et systématiquement contre ces fléaux que sont les fraudes fiscale et sociale. Plusieurs raisons permettent d’en douter.
La première tient à l’insuffisance des moyens humains et matériels avec d’une part, 9 000 agents du fisc et moins de 4 000 agents des organismes de protection sociale et des URSSAF dédiés à la lutte contre la fraude et, d’autre part, le refus incompréhensible d’utiliser certaines techniques modernes pourtant éprouvées dans les autres pays européens. On pense notamment à la Belgique qui a démontré l’utilité de la centralisation des données pour contrer la fraude sociale et la performance des logiciels de détection précoce pour lutter contre la fraude à la TVA, deux systèmes refusés jusqu’à ce jour par l’administration française.
La deuxième raison tient à la cœxistence de deux sortes de fraudes: la fraude simple et la fraude organisée. La première regroupe une myriade de dossiers à «faible enjeu» - de l’ordre de quelques milliers d’euros à quelques dizaines de milliers d’euros - qui ne peut pas être combattue efficacement faute de moyens suffisants et d’un positionnement politique et médiatique de certains qui refusent «la chasse aux pauvres». Mais il n’en demeure pas moins que cette multitude de dossiers représente au total des sommes considérables. La fraude organisée, elle, est une fraude à grande échelle, souvent internationale, que sa sophistication rend difficile à contrecarrer.
On pourrait croire que les sommes fraudées finissent toujours par être réinvesties ou consommées, mais la plupart des sommes fraudées sont transférées hors de France.La troisième raison tient au fait que l’on pourrait croire que les sommes fraudées finissent toujours par être réinvesties ou consommées, ce qui aurait pour effet de stimuler l’économie tout en reconnaissant en creux que les prélèvements fiscaux et sociaux sont trop élevés. Cela est vrai pour certains dossiers de fraude simple. Mais la plupart des sommes fraudées sont transférées hors de France.
La quatrième raison découle de la précédente. Des raisons diplomatiques peuvent conduire la France à ne pas pointer du doigt les pays dans lesquels ces sommes finissent par arriver.
La dernière raison est que la fraude permet d’acheter la paix sociale dans les quartiers où les trafics fleurissent, principalement de stupéfiants.
Il n’est qu’à regarder les résultats réels de la lutte contre la fraude fiscale et sociale. Contrairement à ce qui est régulièrement claironné dans la presse - environ 20 milliards notifiés - l’administration ne détecte en réalité chaque année qu’entre 3 et 4 milliards d’euros de «vraie» fraude fiscale, qualifiée comme telle par le fisc. Le résultat est même tombé à 2,9 milliards en 2019. En matière de fraude sociale, cotisations et prestations, c’est environ 1,5 milliard par an. La performance réelle des contrôles est donc très médiocre par rapport aux montants estimés de la fraude aux finances publiques.
Au final, ce constat laisse l’amère impression que la loi ne profiterait qu’à ceux qui ne la respectent pas, posant ainsi la question de l’inégalité devant l’impôt et les charges sociales qui sape chaque jour davantage notre pacte social.
Pourtant, des solutions existent: interdiction des paiements en liquide, utilisation de la biométrie pour certifier à nouveau l’ensemble des numéros de sécurité sociale et s’assurer tant de l’identité que de l’existence et de la résidence effective des bénéficiaires, volonté politique de réellement rechercher et sanctionner les fraudeurs aux prestations, réforme en profondeur de notre système fiscal pour redonner du pouvoir d’achat à tous les Français grâce à la micro-taxe sur les transactions qui se substituerait à la plupart des impôts supportés par les personnes physiques, regroupement des services fiscaux et sociaux, création d’une juridiction indépendante en matière fiscale et sociale, criminalisation de la fraude organisée… À défaut, la lutte contre les fraudes fiscale et sociale restera un jeu de dupes dont la France n’a plus les moyens.
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