mercredi 11 décembre 2019

Psychanalyse: une expérimentation délirante et catastrophique dénoncée de l'intérieur

Une démonstration limpide sur les errements et mystifications de Freud, mais aussi ceux de ses disciples célèbres, Jacques Lacan, Françoise Dolto ou Philippe Grimbert.
Entretien.
Jacques Van Rillaer : J'ai été un adepte de la psychanalyse jusque vers 1978. Ma « déconversion » s'est faite par étapes et avec beaucoup de tensions intérieures, car j'avais effectué une didactique freudienne et défendu en 1972 ma thèse de doctorat sur la psychanalyse (quatre membres du jury sur cinq étaient psychanalystes…). La notion de pulsion de mort chère à Freud m'avait alors semblé une explication trop facile pour rendre compte des agressions, des autodestructions, des répétitions d'expériences douloureuses, etc. Ce concept m'apparaissait comme une pseudo-explication. Mais je me sentais encore freudien. Dans mon université (Louvain), la psychologie clinique et la psychiatrie étaient alors totalement freudiennes. En 1968, j'avais passé six mois à l'université de Nimègue aux Pays-Bas, où la psychanalyse était tombée en désuétude. Dans le département de psychologie clinique, un assistant était allé se former aux thérapies comportementales aux États-Unis. J'ai assisté à des traitements efficaces de phobies. Pour ce trouble, c'était un acquis. Après avoir publié en 1975 un livre freudien, mon éditeur m'a proposé d'en écrire un autre. J'ai alors cherché à préciser ce qui était original chez Freud et ce que cela valait vraiment. C'est alors que j'ai découvert le livre formidable d'Henri Ellenberger, À la découverte de l'inconscient, paru en français en 1974. Ellenberger avait été formé à la psychanalyse, mais son éthique luthérienne l'avait empêché d'idolâtrer Freud. Il montrait que le célèbre Viennois n'était pas aussi original qu'on le croit habituellement. Il révélait que la fameuse Anna O., « première psychanalysée », dont Freud n'avait cessé de répéter qu'elle avait été guérie de tous ses symptômes, n'avait pas du tout bénéficié de « la cure par la parole ». La malheureuse n'avait cessé de se détériorer et dut être placée dans un institut psychiatrique où elle resta cinq ans, avec des interruptions. J'ai réalisé que Freud avait menti de façon incroyable. Un incident important pour ma déconversion fut que des confrères lacaniens avaient consacré deux soirées à chercher la signification des phrases par lesquelles Lacan concluait son interview à l'ORTF : « L'interprétation doit être preste pour satisfaire à l'entreprêt. De ce qui perdure de perte dure à ce qui ne parie que du père au pire. » Lacan pouvait dire n'importe quoi et on en faisait l'exégèse sans penser qu'il avait pu dire une sottise. Les dévots, comme les théologiens, cherchent toujours un sens profond à toute parole sacrée. J'ai perdu la foi catholique en même temps que celle dans la psychanalyse. Dans les deux doctrines, on faisait des interprétations des dogmes de façon à les justifier coûte que coûte.
Mme Dati, alors garde des Sceaux, avait fait un lapsus devenu célèbre au cours d'une interview sur les fonds d'investissement. Elle voulait dire « une inflation quasi nulle ». Je doute qu'elle ait eu l'« intention réprimée » de parler d'un acte sexuel (rires). Fellation et inflation ont le même nombre de syllabes et la même terminaison. Freud cherchait toujours « en profondeur » ce qui serait « inconsciemment refoulé ». Il applique cette formule indistinctement à nombre de phénomènes.
Mais le freudisme n'a-t-il pas eu le mérite d'imposer sur la place publique la notion d'inconscient, le rôle des rêves, les traumatismes d'enfance ou l'importance d'être écouté quand on souffre ?
Chacune de ces idées se trouve bien avant ! Au XVIe siècle, Montaigne écrivait : « Je trouve que nos plus grands vices prennent le pli dès notre plus tendre enfance et que la direction de notre caractère est principalement entre les mains des nourrices. » La notion d'inconscient apparaît dès l'Antiquité, puis est développée par exemple par Leibniz et devient banale au XIXe siècle, notamment chez Schopenhauer et Nietzsche. On n'a pas attendu Freud pour comprendre que nos conduites participent à tout moment de processus auxquels nous ne réfléchissons pas ou que nous ignorions ! Ce que Freud dit de l'inconscient est d'ailleurs contestable. Il y a bien sûr des processus inconscients, nos goûts et peurs fonctionnent de manière irréfléchie. Mais chez Freud, il y a un renvoi automatique à un Inconscient, conçu selon le mot de Lacan comme « un sujet dans le sujet ». Ce que vous dites de manière consciente ne serait qu'un masque de ce que vous ne voulez pas savoir. Quant aux rêves, ils ont dès l'Antiquité été interprétés pour prédire l'avenir et pour guérir. Les rêves peuvent être interprétés de beaucoup de façons, fait qui est d'ailleurs au départ de conflits d'écoles de psychanalyse. En science, lorsque des théories se contredisent, on essaie de réexaminer les faits et d'organiser de nouvelles observations ou expérimentations permettant de trancher. Mais la stratégie de Freud immunise contre toute objection. Freud maintient coûte que coûte ses théories. Il qualifiait tout disciple qui le contestait de refoulé, névrosé, paranoïaque (son diagnostic favori), etc. Il psychiatrisait l'opposant. Il était dogmatique et autoritaire.
Certes, il a promu l'écoute patiente des patients. Le problème, c'est qu'il les écoutait en décodant tout en fonction de sa théorie et aboutissant toujours aux mêmes choses : l'Œdipe, la castration, le refoulement sexuel, la relation avec la mère et l'homosexualité refoulée...
Freud a parlé sans détour de sexualité dans une société puritaine...
Il a parlé clairement de sexualité à une époque où cela ne se faisait guère. Les célèbres Trois essais sur la théorie sexuelle sont joliment écrits, alors qu'à l'époque les sexologues publiaient en latin les ouvrages ou les passages crus, comme c'est le cas chez Krafft-Ebing. Freud écrit pour la population. C'est assez nouveau et audacieux. Mais Freud n'a pas toujours bien théorisé la sexualité, expliquant par exemple que la masturbation affaiblit le caractère et conduit à la névrose.
Un de ses apports est de faire de la psychothérapie en privé. Les médecins qui pratiquaient l'hypnose ou l'analyse psychologique, comme Pierre Janet, recevaient à l'hôpital. Freud recevait chez lui. Malheureusement, il n'obtenait guère de meilleurs résultats que ses confrères, notamment parce qu'il ne se rendait pas compte que certains patients souffraient de pathologies neurologiques relevant de la médecine. Dans certains cas, ses traitements avaient des effets franchement négatifs, du fait que les patients ruminaient indéfiniment des problèmes liés ou soi-disant liés à l'enfance. Ces malheureux pensaient qu'au moment où ils allaient découvrir la vérité inconsciente, tout allait s'éclairer et qu'ils seraient guéris. C'est une illusion.
Freud a écrit que, pour les phobies et les troubles obsessionnels compulsifs, il faut de l'action, pas seulement des interprétations. C'est une idée capitale que reprendra Alexandre Herzberg, un psychiatre-psychanalyste qui fuira l'Allemagne nazie et pratiquera à Londres une « psychothérapie active », notamment un traitement des phobies qui sera l'ancêtre de la thérapie comportementale.
Vous rappelez les interprétations délirantes de psychanalystes célèbres, telle Françoise Dolto expliquant que la constipation chez les femmes est un « exhibitionnisme anal »...
Françoise Dolto disait des choses raisonnables. Elle avait une conception personnaliste de l'éducation. Être attentif à l'enfant, c'est bien sûr une très bonne chose. Mais elle a dit aussi plein d'absurdités freudiennes et lacaniennes. Par exemple, elle affirmait que « l'enfant autiste est télépathe », « voyant ». Elle expliquait que la constipation pour les femmes est « un moyen grâce auquel elles se masturbent symboliquement la zone érogène anale et soustraient ainsi leur Moi aux intérêts libidinaux génitaux si douloureux pour leur narcissisme ». Elle estimait que le mot « lire » évoque chez certains enfants le tabou du « lit conjugal des parents », ce qui expliquerait des difficultés scolaires, tout comme le mot « écrire », évoquant les « cris entre les parents »... Dolto n'avait aucun souci scientifique. Sa gloire est étonnante. Le succès de la psychanalyse s'explique principalement par le fait qu'il n'y avait alors guère d'alternatives. À l'époque de Freud, la psychiatrie ne guérissait pas, la situation était dramatique. On enfermait les patients et on leur a faisait subir des traitements épouvantables comme la lobotomie. Freud a essayé de bien faire et était convaincu qu'il allait découvrir la clé de tous ces problèmes.
Vous vous moquez aussi du psychanalyste et écrivain Philippe Grimbert, pour qui la cigarette chez l'homme « serait le substitut du phallus de la mère »...
Philippe Grimbert a publié une Psychanalyse du fumeur dans la collection « Renouveaux en psychanalyse ». C'est un livre complètement fou ! Il reprend l'idée de Freud que « l'effroi de la castration à la vue de l'organe génital féminin ne reste vraisemblablement épargné à aucun être masculin ». On se demande bien comment, avec ça, expliquer le succès de la pornographie (rires). Pour Freud, le fétiche est ainsi « le substitut du phallus de la femme (de la mère) auquel a cru le petit garçon et auquel il ne veut pas renoncer ». Grimbert se sert de cette « trouvaille » pour expliquer le tabagisme. Il écrit : « La cigarette, exhibée comme un phallus et venant obturer le vide de l'orifice buccal associé au sexe féminin, demeure le signe d'un triomphe sur la menace de castration et une protection contre cette menace. » Voilà qui va être utile pour lutter contre la tabacomanie... C'est hallucinant. En relisant ce genre de textes, je me suis demandé comment j'ai pu accepter cela sans rire ni m'interroger pendant tant d'années. Cela fonctionne comme une croyance religieuse...
Vous qualifiez Jacques Lacan de « génie de l'imposture intellectuelle »...
Lacan a tenté de rendre la psychanalyse scientifique, notamment par la grâce de son jargon logico-mathématique. C'était un illusionniste, son érudition était gigantesque, mais sa rigueur scientifique nulle. Il a donné l'impression d'être très avide d'argent. De nombreuses anecdotes vont en ce sens, par exemple le fait qu'il ne rendait jamais la monnaie. Mais le pouvoir était probablement l'enjeu le plus important. Lacan a analysé le plus d'apprentis analystes possible en faisant des séances de plus en plus courtes. Les postulants acceptaient de se faire ainsi traiter, car avoir fait une analyse chez lui donnait du prestige. Lacan a prôné un retour à Freud en critiquant la psychanalyse américaine, mais il a développé des idées fort différentes. Chez Freud, le sexuel est primordial, chez lui, c'est le désir d'être reconnu. Pour Lacan, l'inconscient ce sont des jeux de signifiants, des jeux de mots. Le complexe d'Œdipe, il le prend parfois au sens freudien, mais à d'autres moments, le désir d'avoir « un commerce sexuel avec la mère » est à entendre comme « le désir de fusion avec l'objet naturel, la Mère », et « l'envie de mettre à mort le père » signifie « la confrontation au porteur de la Loi ».
Les lacaniens ne s'entendent pas sur l'intérêt de ses derniers séminaires. Les uns disent qu'à partir d'un certain moment, il est devenu dément et racontait n'importe quoi. D'autres le prennent « en entier » et commentent sans réserve tout ce qui est sorti de sa bouche.
Comment expliquez-vous que la France soit, avec l'Argentine, le pays où l'influence de la psychanalyse demeure la plus forte ?
Quand les didactiques à durée variable de Lacan n'ont plus été reconnues par l'Association internationale, il a créé sa propre école. En 1964, il a ouvert tout grand les portes de la psychanalyse. La Société française de psychanalyse exigeait d'être psychiatre ou psychologue pour devenir psychanalyste. Avec Lacan, tout le monde était le bienvenu. Les grandes figures du lacanisme sont des anciens jésuites comme François Roustang, des philosophes ou normaliens comme les frères Miller, Jacques-Alain et Gérard, des historiens comme Élisabeth Roudinesco qui, elle, règne encore sur la rubrique psy du Monde. Je rappelle à son sujet que son ignorance de la psychologie est flagrante. Elle écrit par exemple que « le behaviorisme est une variante du comportementalisme », ce qui revient à dire que le skateboard est une variante de la planche à roulettes…
En 1967, Lacan a fait un pas de plus dans l'« ouverture » à la profession d'analyste. Il a déclaré que « le psychanalyste ne s'autorise que de lui-même ». Ainsi les freudiens orthodoxes ont été complètement submergés par les lacaniens. Ces derniers se retrouvent partout, même dans les plus petites villes de France. Insistons sur le fait que le titre de « psychanalyste » n'est protégé nulle part dans le monde, contrairement à « psychologue », « psychiatre » et « psychothérapeute ».
Quel avenir voyez-vous pour la discipline ?
La psychanalyse va résister longtemps, du moins en France. Une des raisons est que les nominations à l'université se font par cooptation. Dans les départements de psychologie clinique et de psychiatrie, ceux qui sont en place font nommer des gens du même bord. Dans les universités anglo-saxonnes, cela a changé avec l'adoption de critères assez sévères, notamment le nombre de publications dans des revues scientifiques de haut niveau. Comme les psychanalystes ne publient guère dans ce genre de revues, ils sont pénalisés. Vous savez, les religions ne meurent pas si vite que cela. Et des gens intelligents, à qui on a expliqué comment sont fabriqués les pilules homéopathiques, continuent à les avaler…

Pour conclure : Freud et Lacan sont-ils vraiment, selon vous, des charlatans ?
Il faut revenir à la définition du Petit Robert. Un charlatan, c'est quelqu'un qui prétend avoir des moyens de guérison merveilleux et qui séduit son public avec de beaux discours. Selon cette définition, Freud et Lacan sont des charlatans. Freud prétend avoir trouvé un moyen de guérison qui en réalité est peu efficace. Il a produit des discours séduisants dans un fort beau style, ce qui lui a valu le prix Goethe de littérature. Mais l'expression convient surtout à Lacan. Il se moquait des gens et a raconté n'importe quoi. En 1977, il a confessé que « notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué ». Puis, en 1978 : « la psychanalyse n'est pas une science. [...] C'est un délire, un délire dont on attend qu'il porte une science ». Je ne comprends pas comment son gendre Jacques-Alain Miller a pu publier ces enregistrements ravageurs. Il a reproduit ces propos, alors que Lacan dit textuellement qu'il s'agit d'une pseudoscience et d'une « escroquerie ». Lacan devenait-il dément, comme on l'a dit, ou a-t-il simplement jeté le masque ? Pour revenir à Freud, signalons que la publication de sa correspondance a mis en évidence de graves mensonges. En 1896, dans des lettres à son ami Wilhelm Fliess, il explique que son « cabinet est vide » et qu'il n'a terminé aucune cure, alors même qu'il venait d'affirmer publiquement avoir guéri 18 hystériques. On se demande pourquoi toutes ces lettres ont été conservées (notamment grâce à Marie Bonaparte), alors qu'elles sont catastrophiques pour la psychanalyse. On en revient au parallèle avec la religion. Les êtres humains ont besoin d'avoir des croyances auxquelles ils peuvent se raccrocher coûte que coûte. Ainsi beaucoup ont cru qu'il y a des vérités révélées dans les textes de Freud et Lacan. Ils les ont sacralisés.

et toujours l'excellent article sur l'autisme:

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