jeudi 21 février 2013

Le système de soins français: réflexions


Dans ce débat il est essentiel de considérer que nous sommes loin d'être les seuls à avoir un système de soins performant. Le nombrilisme hexagonal est bien connu surtout quand les "élites" s'autocongratulent d'être le pays du meilleur système de santé du monde! On connait les biais du classement OMS de 2000. Depuis nous n'avons pas réitéré la performance. Dans ce domaine le benchmarking est essentiel puisque les autres pays européens ou nord américains ont expérimenté et trouvé après des essais et des erreurs un certain nombre de solutions opérationnelles aux difficultés terribles que nous connaissons aujourd'hui. C'est sur ce point que je voudrais faire un commentaire tant il est important de souligner que le système de soins doit évoluer non seulement sous des contraintes de gestion et de budget mais aussi il ne faut pas l'oublier pour permettre l'irruption si dérangeante de l'innovation.
1/ La formation tout au long de la vie et l'enseignement de l'économie de marché.
Pour tout individu qui connait bien le milieu médical hospitalier il est naturel  d'insister sur les facteurs culturels et éducationnels. 
La formation initiale des différentes professions de soins est en effet déficiente en économie. C'est une la Palissade car nos bases sont absentes, l'économie de marché est ignorée pendant le secondaire à tel point que certains élèves sont persuadés que c'est une option économique et que la France ou l'Europe ne l'ont pas adoptée (plusieurs questionnaires sur l'économie et l'entreprise en attestent) et elle sera réduite à des cours très limités pendant les études universitaires. 
Pour autant ne nous lamentons pas sans fin sur le passé car nous devrions avoir après la formation initiale la formation continue! Oui mais voilà elle est déficiente tout court! Ainsi nous constatons que des médecins, des infirmiers, des kinésithérapeutes peuvent exercer toute leur vie sans ouvrir un livre et en recevant de temps en temps un visiteur médical pour que leurs ordonnances ne soient pas trop datées! Vous pensez que je force le trait? Pas du tout simplement il faut savoir de quoi et de qui nous parlons. Si c'est de quelques médecins dynamiques ou branchés très au fait de ce qui se passe ou bien de la médecine du réel dans la France du quotidien. 
Mais que mon propos ne soit pas mal interprété! Si les facultés qui délivrent le diplôme de docteur en médecine, si le ministère de la Santé qui est supposé contrôler la qualité des soins, si l'assurance maladie unique qui paye et dispose de toutes les statistiques si l'Ordre garant de l'éthique, si les syndicats récipiendaires de sommes importantes au titre de la politique conventionnelle ne demandent pas, n'organisent pas une formation continue validante est ce vraiment au professionnel libéral que l'on pousse au stakhanovisme par le jeu de l'augmentation des charges de le faire? La réponse est non. Pour autant je persiste à conseiller à tous de payer eux mêmes leur formation continue et de l'organiser en fonction de leurs besoins. 
Une situation symétrique avec des incentives différents existe à l'hôpital public. Sur les 36000 règlements et plus de l'hôpital public (J de Kervasdoué) pas un à ma connaissance n'organise la formation continue des salariés professionnels du soin! Je sais que des dispositions de loi existent mais elles ont beaucoup de mal à entrer dans la phase opérationnelle et c'est un euphémisme! Ainsi la loi Bachelot dite HPST a ignoré cette difficulté qui est pourtant essentielle. On ne peut penser qu'à du clientélisme tant le besoin est évident et la situation de chèque en blanc aux syndicats et autres associations délétère.
2/ Après la description de ce contexte une question se pose: pourquoi l'économie de marché? 
Le système de soins n'est il pas à l'extérieur de cette économie dans une bulle préservée où la notion de coût doit s'effacer devant la nécessité de traiter tous les patients en fonction de leurs besoins? C'est la thèse fondamentale que soutiennent tout à la fois les syndicats de personnels et certains mandarins. Bien évidemment c'est une fable pour ignorants! En effet plus qu'hier et encore moins que demain le soin efficace s'exerce par l'intermédiation d'un gigantesque appareil technologique de diagnostic et de traitement: je veux parler du plateau technique d'imagerie, des salles interventionnelles, de la réanimation, des laboratoires d'analyse biologiques. Ainsi le médecin n'est plus seul devant son patient il est d'une part au centre du réseau d'informations (qu'il doit partager avec le malade) et au contact physique et psychique du patient. Sans cet outil ultracomplexe nous revenons deux siècles en arrière, au stade de l'empirisme des Ecoles. Or ce gigantesque appareil technologique est un pur produit de l'économie de marché! Savoir comment il est né, comment il se transforme sans cesse sous la poussée de l'innovation comment il se finance n'est pas réservé aux seuls radiologues libéraux ou aux gestionnaires des laboratoires d'analyse médicale, c'est essentiel pour tous car nos choix dépendent de la puissance de cet outil. 
De surcroît cet outil ne fonctionne pas seul mais grace à des techniciens et des médecins spécialisés qui doivent être parfaitement qualifiés pour que les informations soient structurées correctement et interprétables par le soignant. 
Enfin cet outil a un coût très élevé d'acquisition et de fonctionnement qui impose la restructuration des hôpitaux trop longtemps retardée afin de ne pas continuer à faire croire aux français qu'ils ont un hôpital ou une maternité près de chez eux alors qu'il s'agit uniquement de la façade et de la signalétique! 
L'économie de marché est la source des biens et services que l'hôpital, la clinique le professionnel achètent pour faire son métier.
Il y a une autre réalité souvent ignorée par le monde hospitalier c'est la transversalité du réseau de soins. 
Soigner un patient n'est plus un acte héroïque, isolé et manichéen, le patient n'est pas en orbite dans l'hôpital. Le patient se soigne dans plusieurs centres à la fois et de plus en plus (pas assez en France) en ambulatoire. Soigner c'est de plus en plus prendre en charge de nombreuses pathologie chroniques tout au long d'une partie importante de la vie. 
Le médecin se trouve donc dans une situation de fait: le soin en réseau. Ce réseau est à la fois public et "privé", hospitalier et ambulatoire, gratuit et payant, médical et non médical, secret ou transparent, clientéliste, de proximité, de notoriété ou résultant de choix personnels. Comprendre comment fonctionne ce réseau immergé dans l'économie de marché est essentiel pour le praticien tout à la fois pour éclairer les choix de ses patients mais aussi pour la gouverne de son activité.
Méconnaitre par idéologie ces réalités c'est handicaper l'hôpital public et la qualité des soins. Disons le tout net la plupart du temps c'est céder au conservatisme et à la défense d'intérêts corporatistes exorbitants du droit commun du travail.

3/ L'état gérant ou garant?
Voilà une question que nous avons vite oubliée... faut il le rappeler l'ONDAM des ordonnances Juppé est un cuisant échec du planisme parisien! Jamais respecté mais voté par des députés incompétents sur le fond, l'ONDAM est une mascarade qui ne tient que par le consensus bureaucratique. Il serait beaucoup plus efficace de responsabiliser les acteurs sur des objectifs visibles et atteignables. Car l'ONDAM est tout sauf concret étant on ne peut plus éloigné de la gestion des établissments ou des cabinets! De surcroît l'ONDAM tend à pérenniser les dysfonctionnements et les situations établies dans la répartition des ressources. 
Pour en sortir il suffisait principalement de disposer d'une évolution majeure que la loi Bachelot a négligé alors que Valérie Pécresse l'a réussi pour les universités: l'autonomie des hôpitaux! 
L'éthique de responsabilité doit s'appliquer au plus bas de l'échelle des responsabilités et non pas descendre comme une directive depuis l'Elysée et l'avenue de Ségur. Nous avons les outils: le statut d'EPIC, et ainsi nous aurions aussi les marges de manoeuvre. Les EPIC ont une comptabilité analysable et une gouvernance d'entreprise publique efficiente. Au lieu de cela la loi Bachelot s'est embourbée dans le compromis politique tout en maintenant des strates obsolètes dans la direction des hôpitaux. Par ailleurs par trop centralisatrice et étatiste la loi a ignoré que le principe de responsabilité est synallagmatique, les directeurs doivent être puissants mais révocables non pas selon le bon vouloir de l'état ou de son représentant omnipotent aux ARS mais par le CA devant de mauvais résultats économiques en particulier. L'autonomie fait fonctionner ce principe de responsabilité de manière naturelle et dynamique plutôt que subie et punitive. On se demande si l'Elysée a bien supervisé le texte de Mme Bachelot quand on relit le discours de Bordeaux de N Sarkozy! Dans cette nouvelle dynamique d'autonomie hospitalière l'état avec les ARS devient un garant et délègue la gestion, on sait que l'inverse est catastrophique, nous le vérifions actuellement.
4/ Les tarifs la T2A et l'assurance maladie.
On pourrait se poser la question de savoir pourquoi les français sont si ignorants de ces sujets qui sont pourtant leur principale dépense! C'est que l'opacité est organisée! Tout a été dit sur le budget global et son incitation à la connivence, la corruption et la sous activité. La T2A est mal connue et surtout elle fait l'objet d'affirmations mensongères de la part de ceux qui sont les conservateurs du status quo. C'est tout simplement un paiement à l'acte pour les hôpitaux! L'hôpital ou la clinique soignent un patient d'un brochopneumonie, font un diagnostic précis d'une hypertension artérielle grave, font réaliser une opération de la cataracte tout ceci est codifié et tarifé.
Oui mais voilà les carottes ne sont pas remboursées au même tarif selon qu'elles sont produites par un producteur privé, un producteur d'état local ou un producteur d'état situé dans une ferme de lycée agricole! Les différences sont énormes si bien que les surcoûts des CHU sont intolérables en terme d'efficience de la dépense publique. On mesure l'imposture des affirmations de certains mandarins qui se sont élevés contre la T2A au motif qu'ils allaient maquer de moyens! En clair ils ne font, toutes tendances politiques réunies, que défendre leur 4ème ou 5ème secrétaire, leurs surplus de personnels soignants, leurs locaux inoccupés, leur activité extrahospitalière alors que des patients identiques sont soignés à bien moindre coût par des structures non universitaires publiques ou privées. L'énarchie a aussitôt inventé un concept: la convergence tarifaire, elle devait avoir lieu en 2010 puis a été repoussée en 2012, on sait qu'elle n'est plus à l'horizon politique des 4 procahines années. Ce qui prouve que l'état et son assurance maladie ont de l'argent à gaspiller en plus du déficit annuel qui avoisine 12 Milliards d'euros cette année (estimation). Cette reculade très politique est en fait un cadeau empoisonné fait à l'hôpital public. L'adaptation ne vient jamais des concessions de l'état mais de la concurrence, c'est une dure loi économique et nous allons voir la situation de certains hôpitaux continuer à se dégrader maintenant que l'échéance a été repoussée. Le secteur privé ne s'y est pas trompé il n'a que très mollement protesté. En effet l'affaiblissement financier des établissements publics mal gérés et entrés dans une spirale de sous activité est une aubaine pour le secteur commercial qui étudie très attentivement ces situations leur permettant d'installer un service commercial avec des contraintes de service public mais sans concurrence solide! Ces établissements sont un véritable placement obligataire garanti contre l'inflation! Voilà à nouveau l'état en plein interventionnisme à ses dépens. Malheureusement les administrateurs de l'assurance maladie ne sont d'aucun recours devant ces bévues étatiques; en réalité on pourrait supprimer le CA de l'UNCAM et ne maintenir que la direction de la sécurité sociale au ministère tant la cogestion du système est morte depuis les ordonnances Juppé.

5/ Qualité des soins et innovation
C'est en discutant avec des gestionnaires d'établissement publics et privés que cette double réalité s'est imposée: la T2A est très bien acceptée par les gestionnaires dynamiques et les institutions ayant des parts significatives de marché. Elle est très mal acceptée par ceux qui sont en sous activité. Dans le privé ils ont fermé et fusionné dans le public ils se lamentent auprès du maire et du directeur d'ARH hier de l'ARS aujourd'hui. Mais il y a beaucoup plus préoccupant, la T2A est un paiement à l'acte ce qui signifie que c'est un très fort stimulant de l'activité. C'est bien car pour répondre aux besoins de la population il ne faut pas que dans le temps où une clinique fait quatre prothèses de hanche l'hôpital n'ait pas terminé la première. Mais on ne peut évacuer la question de la qualité! Ces cinq prothèses de hanche vont être remboursées par l'assurance maladie au tarif sécu (séjour, prothèse, acte, médicaments, salaires et honoraires). Pourtant personne n'a mesuré la qualité du service vendu par la clinique ou l'hôpital! Si une prothèse est mal posée, qu'elle s'infecte, que le patient ne bénéficie pas de soins attentifs en postopératoire il n'y aura pas de modulation. Tout cela est laissé à l'issue contentieuse et en attendant la sécu paie le coût des complications au tarif qu'elle a fixé! Il y a donc un encouragement à la non qualité. Ainsi la T2A est inflationniste et non incitatrice d'une production de soins de qualité. C'est que nous sommes très hostiles à mesurer cette qualité, que nous sommes très hostiles à publier les résultats de la production de soins laissant cela aux journalistes du Point! Alors bien sur tout dépassement du nombre de jours prévus par le tarif est à la charge de l'établissement mais cette disposition est aisément contournable et ne remplace pas une mesure de la qualité et un paiement modulé à la performance. Cette modulation est urgente car il n'y a pas de rémunération parfaite compte tenu de l'extraordinaire complexité du processus de soins. Un paiement des établissements et des praticiens suivant un mix entre activité (quantité) performance (qualité) et servitudes fixes (gardes) est du point de vue économique et médical une approche que la loi Bachelot a ignorée. Par ailleurs et sans entrer dans les détails la rémunération à la performance est une des voies permettant la pénétration de l'innovation organisationnele et technique dans le processus de soins. Le paiement à l'acte au contraire fait obstacle à toute disruption. Là aussi le ministère a manqué de conseillers ayant une vision anticipatrice et la loi le reflète.

Alors en conclusion la loi Bachelot se révèle un petit pas dans la bonne direction pour l'hôpital public français. Elle est peu ambitieuse mais va dans la direction de la gouvernance et d'un peu de responsabilité, valeurs partagées par tous ceux qui sont attachés à la médecine. Si on fait un état des lieux l'application de la loi est très incomplète. Comment gouverner sans comptabilité analytique? Comment gouverner sans transparence?  Pour autant l'hôpital ne doit pas attendre tout de l'état. Nous devons saisir notre chance comme sont en train de le faire certaines universités à travers la loi Pécresse, l'hôpital de territoire (une structure puissante et ayant une importante activité en quantité et qualité) doit trouver le chemin de son autonomie. Les médecins mais aussi les gestionnaires peuvent s'entendre sur cet objectif, la FHF devrait en faire son cheval de bataille. Alors s'ouvrirait le vrai chantier, celui d'adapter l'hôpital public institution millénaire dans la société mondialisée.

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