mardi 23 mars 2010

Contresens et propagande sur l'assurance maladie française

La revue Finances Hospitalières publie un éditorial de J. Grolier sur le système de soins en général qu'il est intéressant de commenter.

Contresens macro-économiques 

Sous le titre "dépenser moins dépenser mieux" l'auteur s'essaie à une description macro-économique du système de soins. Il critique d'emblée une appréciation commune et trop répandue qui dénoncerait une situation financière déplorable du secteur de la santé en France. Une fois de plus c'est l'amalgame entre santé et système de soins! Quoi de plus différent en réalité qu'un système de soins étatisé et la santé un capital personnel que nous entretenons ou dégradons principalement par nos comportements! Quoi de plus différent que la santé publique environnementale et sociale et un système axé sur le curatif et le traitement isolé de la maladie! Ensuite notre éditorialiste s'emballe, il mélange dépenses de santé (en réalité de soins c'est à dire biens et services médicaux ce qui est très différent), déficit de la sécu (en réalité de l'assurance maladie) et dette léguée à nos enfants. Pour ce qui est de la dette il s'agit plutôt d'un héritage particulier car il prend effet non à la mort de la personne qui a fait les dettes mais à la majorité de celui ou de celle qui appartient à la génération suivante!

(Le legs est la transmission à titre gratuit d'un ou plusieurs biens du défunt, faite par testament lors de son vivant, mais qui ne prendra effet qu'à son décès.

En droit, un héritage est la transmission d'un patrimoine d'une personne à sa mort vers une autre personne) 

Oui le vocabulaire n'est pas innocent et le sien en particulier!

Inversion du sens des mots et contrevérités

Ensuite nous en venons à la négation de la réalité économique! Un grand classique du genre, après la santé n'a pas de prix, notre auteur assène: l'assurance maladie n'est pas une dépense déficitaire c'est une richesse! Elle crée des emplois et produit du bonheur donc circulez il ne faut pas essayer de la remettre en équilibre! Pauvre G. Schröder qui a réussi à le faire de l'autre côté du Rhin! Ce serait inutile, d'ailleurs si plus de gens étaient malades les dépenses augmenteraient encore ce qui créerait encore plus d'emplois, creuserait la dette et nous serions plus riches et plus heureux selon l'auteur. Un raisonnement d'une ineptie tellement brutale qu'elle en impose pour une docte analyse. Et cerise sur le gâteau on apprend comme une grande nouvelle que les activités de soins seraient d'un plus grand intérêt économique encore car non délocalisables. L'auteur a oublié que les biens médicaux que nous achetons sont produits en grande partie par des entreprises étrangères qui produisent dans des pays à bas coût salariaux, les mêmes pays qui produisent les jouets, les outils de bricolage, l'électroménager que nous achetons tous! Ainsi médicaments, prothèses, dispositifs médicaux, imagerie médicale, ordinateurs sont en très grande partie fabriqués dans des pays à bas coûts salariaux. C'est donc le contraire de ce qu'affirme notre éditorialiste l'activité de soins en plus de générer un déficit des finances publiques provoque un déficit de la balance commerciale qui s'est d'ailleurs fortement aggravé depuis 50 ans car notre position industrielle dans ce domaine s'est dégradée.
Nous progressons ensuite dans le négationnisme économique:  

"Le « déficit de la sécu » n’est pas un déficit au sens comptable du terme : il s’agit en réalité d’un besoin de financement concernant des dépenses d’investissement en capital humain"

Il serait très intéressant que notre auteur écrive un nouveau traité d'économie car la transformation sémantique d'un déficit en besoin de financement est intéressante. Ainsi quiconque pourra se présenter chez son voisin pour lui demander de l'argent en raison d'un besoin de financement. Le voisin qui accepterait scellerait bien évidemment le deal par une "reconnaissance de dette" avant de donner l'argent.
Jouer sur les mots quand il s'agit de sujets aussi graves traduit une volonté de manipulation. C'est dommage.
Ensuite c'est un long et pénible développement pour nous faire prendre la dette pour un surcroît de bonheur et l'inévitable Stiglitz et son nouveau PIB est convié. Ce bonheur là est comme la drogue il disparaît vite et demande encore plus de dettes pour revenir fugacement!
Mais ce tableau serait incomplet sans un couplet contre la T2A qui est le leit motiv des critiques de gauche de la politique de santé du gouvernement centriste actuel.
Enfin une tentative totalement avortée de démonstration économique finit de ridiculiser notre auteur. Dans une phrase aussi longue que méandreuse il affirme sans le prouver que la dette serait en fait un transfert de richesses des plus pauvres vers les plus riches. Alors vraiment chiche pour plus de justice sociale ne faisons plus de dettes et ainsi les plus pauvres pourront bénéficier d'un transfert inverse. C'est faux ridicule et le lecteur est pris pour un imbécile!
C'est pourquoi la suite ne peut être jugée sans avoir en mémoire ces affabulations égalisatrices qui en réalité contribuent à détruire le système public et à détériorer l'image des finances hospitalières qui se sont souvent améliorées ces dernières années grâce à la T2A avec des effets significatifs sur la qualité du service rendu aux clients. C'est un des points indiscutables de la politique du gouvernement actuel et c'est aussi la possibilité de comprendre qu'un équilibre des comptes est à portée de main pourvu que la volonté politique soit là.

Cependant tout n'est pas dénué d'intérêt!

"On ne peut affirmer que les dépenses de santé sont trop importantes parce qu’aucune norme n’est opposable au libre choix des individus concernant les sommes qu’ils sont prêts à allouer à cette part de leur budget."

Voilà qui est très bien dit et c'est pourquoi une assurance maladie tout risque obligatoire et unique centrée sur les soins allopathiques est incompatible avec le libre choix des individus concernant les sommes qu'ils sont prêts à allouer à cette part de leur budget! En revanche on peut convenir de contraindre les individus à choisir un assureur pour le risque de maladie grave, libre à chacun ensuite de dépenser de sa poche ou bien de s'assurer en plus pour des dépenses non indispensables voire inutiles mais qu'il a tout à fait le droit de choisir! C'est bien le système actuel qui interdit de choisir la façon dont on veut dépenser pour se soigner ou rester en santé sauf pour les très riches qui en plus de l'assurance maladie sécu contracte une assurance couvrant tous les risques. Cette assurance leur permettant d'avoir une IRM dans la journée, un cardiologue dans les 48 heures et un ophtalmo dans la semaine. Quelle liberté pour les autres qui sont assujettis au prélèvement obligatoire? Celle d'attendre 4 ou 6 semaines pour avoir une IRM pour suspicion de cancer? 4 à 6 mois pour consulter un ophtalmologiste?

Une conclusion banale traduisant l'absence d'analyse critique de la situation

"- il conviendra de faire en sorte que les fonds mis à disposition soient utilisés de façon optimale en termes de coût-efficacité en développant l’évaluation des politiques publiques (on devra, par exemple, passer par une restructuration de l’offre de premier recours et de l’offre hospitalière et poursuivre le développement des outils de gestion) ;
- il conviendra de mieux répartir l’assiette et la collecte des cotisations pour revenir à ce qu’était l’objectif du Conseil National de la Résistance en créant la Sécurité sociale, chacun contribuant selon ses moyens pour que chacun bénéficie selon ses besoins."

Citer le CNR après autant de contrevérités c'est un peu en appeler au politiquement correct pour justifier l'injustifiable. Cela peut marcher mais le lecteur attentif a bien compris que les phrases tautologiques du style "utiliser de façon optimale les fonds mis à disposition" cachent l'absence d'analyse critique de la situation du système de soins français. Non il ne convient pas de "faire en sorte que", intention planiste descendue du sommet de la hiérarchie, il faut faire confiance aux acteurs de l'entreprise publique qu'est l'hôpital et lui donner son indépendance totale. Il ne convient pas "d'évaluer les politiques publiques", tarte à la crème inodore et sans saveur, il faut mettre en concurrence les acteurs publics (libérés des 36000 règlements administratifs qui les entravent), associatifs, mutualistes et commerciaux. C'est ce qu'a entrepris le gouvernement par la convergence des tarifs. Il faudra y consacrer encore beaucoup de travail tant l'assurance maladie est incroyablement étrangère à cette approche en particulier en ce qui concerne l'outil tarifaire qui est dénué de finesse ou pollué par les intérêts corporatistes. Il est inutile de "restructurer" puisque la T2A permet aux établissements de savoir s'il peuvent continuer à développer telle ou telle offre de soins ou bien si leur situation, leur performance rendent cette aventure illusoire. Il est inutile de "développer des outils de gestion", il faut beaucoup plus simplement et économiquement que les hôpitaux deviennent des EPIC avec une comptabilité analytique et un plan comptable ordinaire! Les choix centralisateurs et planistes de l'auteur sont le reflet de l'incroyable incapacité des institutionnels français  à changer de logiciel!

Le financement au coeur du système réformé

Quant au financement de l'assurance maladie, disons combien son assise extrême sur le travail est un frein au développement économique du pays! Il suffit de comparer les coûts du travail en UE pour s'en convaincre. La compétitivité n'est pas un hasard (Source Financial Times 2010).

Peut on imaginer en dehors d'une vision collectiviste de l'économie de taxer le travail et le travailleur pour financer la santé de TOUS les français? Dans l'euphorie de la victoire, en 1945, sous l'influence forte du parti communiste, une logique très redistributrice a été mise en place et assise sur les revenus du travail déclaré. Au fil des ans la redistribution a pris le pas sur la logique assurantielle et ce au détriment de la gestion du risque et du traitement de la maladie. Il ne pouvait en être autrement avec un état prodigue en argent public et des syndicats hostiles à toute idée de rationalisation et d'efficience. Par ailleurs au début de la sécu l'état providence n'était pas ce qu'il est aujourd'hui avec des stabilisateurs sociaux très développés contribuant, c'est ainsi, à un chômage structurel et à une forte inemployabilité si bien que les limites d'une telle logique ne sont apparues qu'après la crise du pétrole. C'est pourquoi il est urgent, pour arrêter de nous endetter et avec nous nos enfants ne vous en déplaise, de réformer sérieusement le financement de l'assurance maladie, en particulier son assise sur le travail.. 
1/ Cette réforme profonde doit modifier le périmètre des biens et services médicaux éligibles au remboursement pour consacrer les ressources rares à l'essentiel: sauver des vies, améliorer les maladies chroniques avec les meilleures techniques médicales. Nous en sommes capables car la médecine française est d'un haut niveau et que notre système de soins n'est pas dégradé, il demande simplement à être mieux organisé, mieux géré dans l'intérêt des clients et de notre pays. Ce périmètre sera bien sur discuté mais un consensus est possible sur la base actuelle des affections de longue durée et d'un certain nombre d'affections hors ALD.
2/ Cette réforme doit dans le même temps équilibrer le fonctionnement économique de l'assurance maladie c'est à dire dépenser ce que nous prélevons et pas plus. Cet objectif n'a jamais été attient par la réforme Juppé car l'ONDAM n'est pas opposable. Ainsi on construit des outils coûteux pour finalemnt ne pas s'en servir. Dans l'état actuel des choses, contrairement à ce que qui est affirmé dans ce papier  le niveau des dépenses mutualisées de soins dans notre pays peut être considéré comme élevé à plus de 10 % du PIB, c'est pourquoi il faut d'abord regarder comment le stabiliser immédiatement et obtenir les mêmes résultats avec moins d'argent ce qui est possible. En cette matière les comparaisons européennes sont très utiles et instructives il faut s'en saisir pour ce faire.Il ne s'agira pas d'arrêter de poser des prothèses de hanche le 31 octobre mais de mettre à la charge des français ce qui n'est pas scientifiquement efficace voire complètement inutile mais consommé comme un autre bien de notre monde consumériste. Il s'agit de sommes considérables qui dépassent de beaucoup le déficit entre dépenses et recettes, on peut sans se tromper parler d'au moins 15 % de la dépense globale.
3/ Toujours dans le même temps cette réforme ouvrira l'assurance maladie aux acteurs de la société de marché qui a fait notre richesse depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, assureurs mutualistes, privés nationaux ou européens aux côtés de la sécu dans un cadre précis interdisant le refus d'assurance et l'éviction pour surrisque pour maintenir le mécanisme assurantiel au profit de ceux qui sont malades et pas comme redistribution de richesses, ce qui est maintenant dévolu à d'autres prélèvements.
4/ Enfin  il est nécessaire que tous les français contribuent aux ressources de l'assurance maladie obligatoire. La diminution de la dépense publique par ailleurs urgente et indispensable en raison du poids de la dette de l'état dans la dette publique libérera des ressources prélevées sur la consommation par la TVA.
Il est possible de basculer 5 % de la TVA (environ 16 milliards d'euro) sur l'assurance maladie et ainsi de diminuer les prélèvement sur les salariés tout en diminuant le coût du travail. 
Cette réforme ambitieuse et novatrice aura des effets très positifs sur les entreprises et l'économie sans altérer au contraire la possibilité de se faire soigner pour des pathologies sérieuses. Elle introduit des mécanismes de marché en maintenant une assurance maladie pour tous. Elle respecte nos enfants en ne les mettant pas à contribution dès leur premier salaire pour payer les dépenses d'une époque qui n'a que trop duré et n'aura pas contribué à plus d'espérance de vie ou plus de bonheur. Il me semble qu'elle est plus conforme aux souhaits émis par le CNR que le status quo badigeonné au wishful thinking qui est défendu dans cet éditorial.

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