le 09 juin 2006
Des cliniques externes fleurissent dans les galeries marchandes des grandes surfaces aux États Unis. Des soins y sont pratiqués, préventifs ou curatifs : de l'analyse de gorge à la recherche d'un streptocoque à la vaccination contre la grippe ou l'hépatite. D’autres examens de dépistage ou des gestes thérapeutiques simples sont possibles dans ces structures, dont le coût est très inférieur à celui des structures traditionnelles.
Le système de soins américain, qui absorbe environ 13% du PIB, a-t-il besoin de ce type de structure ?
Voilà typiquement une question inspirée par une approche planiste du système de soins.
De fait, ces cliniques fonctionnent et se développent avec des clients qui payent soit de leur poche, soit en co-paiement avec des assurances. Il y a donc un besoin lié à des impératifs non médicaux comme l'unité de lieu, la brièveté de l'attente et l'absence de rendez-vous préalables - mais aussi une autre forme de communication et de consommation de biens et services médicaux.
Le médecin n'est plus l'intermédiaire obligé, le passeur vers la consommation à travers l'ordonnance de prescription : le pharmacien prescrit l'examen, le médicament ou le vaccin et l'infirmière accomplit un certain nombre de gestes diagnostiques ou thérapeutiques.
Ces cliniques sont le fer de lance d'un concept nouveau, le Consumer-Directed Healh Care ; celui-ci implique une plus grande autonomie de décision du patient, mais aussi d'autres intervenants comme le pharmacien ou l'infirmière.
Dans des pays comme le Canada où la régulation de l’offre de soins se fait par la pénurie, les walk-in clinics répondent à un autre besoin : pallier les défaillances du système étatique.
Pour le consommateur, plusieurs questions se posent :
- Premièrement peut-on faire confiance à Wal-Mart ou à CVS pour assurer la qualité des soins dans de telles structures ? Il est curieux que ce type de question vienne surtout à l'esprit de nos concitoyens européens.
En effet, en Europe, les grandes chaînes de distribution - notamment dans l'agro-alimentaire ont, du point de vue de la sécurité, une fiabilité qui est très supérieure à celle des hôpitaux et cliniques, et tout à fait proche du risque zéro. On imagine donc que les moyens humains et technologiques sont largement en possession de ces firmes pour gérer de telles structures avec la même assurance de qualité.
Simplement, il suffit de considérer les biens et services médicaux comme les autres biens et services du point de vue de leur production, de leur qualité et de leur prix. Observons que les avancées de la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui conduisent à considérer la production de biens et services médicaux comme une activité économique, vont dans ce sens.
- Deuxièmement est-ce que les médecins vont perdre de l'activité donc du chiffre d'affaires en raison de l'existence de telles structures ?.
Rien n'est moins sûr, car dans le système américain ce type de consommation de biens et services médicaux vient s'ajouter à la consommation actuelle et non pas se substituer à des consultations ou gestes pratiqués par le médecin traitant. Néanmoins, ce risque existe et correspond à des restructurations transitionnelles de l'offre de soins qu'il serait très imprudent de freiner, car ces restructurations favorisent l'efficience du système et aussi un meilleur accès aux soins, notamment en ce qui concernant la prévention et le contrôle des maladies chroniques.
- Troisièmement ne s'agit-il pas d'une tête de pont de l'industrie pharmaceutique dans les grandes surfaces au contact direct du consommateur dans le seul but de vendre?
La réponse est bien évidemment positive, et ce type de clinique se développe dans le même schéma de "business" que la publicité directe pour les médicaments, encore interdite en Europe dans certains pays, alors même que la publicité et la consommation d'alcool ou de tabac y sont largement présentes.
Sauf à diaboliser l'industrie pharmaceutique, ce qui a entraîné ces dernières années une fuite des investissements de l'Europe vers les États Unis en matière de recherche et de développement, force est de constater que l'industrie pharmaceutique présente des qualités de production extrêmement élevées, et des méthodes de publicité qui sont les mêmes que celles de l'industrie agro-alimentaire. On doit constater que dans notre pays en particulier, mais aussi dans d'autres pays d'Europe, l'absence de publicité dirigée vers le public pour les médicaments n'a jamais provoqué un comportement vertueux au niveau de la consommation des patients et de la prescription des médecins.
En France, en dépit de cette interdiction de publicité directe, et avec une publicité destinée aux médecins qui est comparable aux autres pays, nous détenons des records de consommations dans le domaine des antibiotiques, des psychotropes, des statines pour n’en citer que trois. Le marché réglementé, les interdictions multiples sont, dans notre modèle d'assurance-maladie, totalement inefficaces pour contrôler la consommation des médicaments.
Si de telles cliniques apparaissent comme une opportunité pour ceux qui les créent et pour l'industrie pharmaceutique qui y vend ses produits, le frein économique que constitue la non-prise en charge par les assurances - ou une prise en charge dissuasive de l'usage excessif - permet de limiter la consommation.
- Quatrièmement, est-ce que ces dépenses entrent dans le cadre des dépenses remboursables (assurance-maladie de type européen) ou des dépenses entrant dans le cadre d'une déduction fiscale (Health Benefit Account) ? Dans un système d'assurance, c'est l'actuaire qui répond à cette question en calculant le montant des primes en fonction de l'étendue des garanties. Dans le système de redistribution sociale, on observe d'une part une absence totale de flexibilité quant aux nouveaux modes de consommation des biens médicaux et d'autre part une prépondérance des structures classiques, en particulier hospitalières, qui absorbent l'essentiel des ressources.
- Cinquièmement, quelle issue pour le consommateur si une complication survient, qu'il s'agisse d'une erreur d'indication ou d'une erreur de pratique d'un geste diagnostique ou de traitement ?
Compte tenu de l'adossement de ces cliniques à d'énormes structures comme Wal-Mart ou CVS, on peut imaginer que l'accident, et d'éventuels dommages qui y seraient rapportés, seront très rapidement pris en charge et indemnisés, et ce aussi rapidement, sinon plus rapidement que dans le cas d'une assurance professionnelle de médecin. En effet, il y va de la réputation de ces firmes et, de ce point de vue, le risque qu'elles encourent si de tels accidents se produisent, et sont mal indemnisés est très supérieur au montant que peut demander un patient susceptible d'avoir subi un dommage.
Il y a donc peu à parier sur une dégradation de la couverture du risque et, bien au contraire, on peut estimer que cette couverture sera meilleure.
- Sixièmement est-ce que l'indépendance des praticiens (pharmaciens, infirmières, et éventuellement médecins) qui exercent dans ces cliniques est susceptible d'être remise en cause par des conflits d'intérêts au sujet des prescriptions par exemple ?.
Dans la mesure où leur "employeur" n'est pas une firme pharmaceutique, leur position vis à vis du médicament est exactement la même que celle d'un médecin libéral ou salarié.
Par ailleurs, il faut souligner que les liens contractuels éventuels entre la clinique externe et le professionnel qui y exerce relèvent des mêmes règles déontologiques que dans n'importe quelle structure, y compris hospitalière.
Au total, ce type de clinique présente de nombreux intérêts mais, pour des raisons idéologiques, il est tout à fait surréaliste d'imaginer le développement de telles structures en France par exemple.
De même, de nombreux obstacles se dressent sur la route du Consumer-Directed Health Care.
Les prérogatives professionnelles des infirmières sont bien trop limitées dans notre pays, et le rapport Berland, qui avait tenté de sensibiliser les politiques à ce problème, a été enterré.
Les compagnies pharmaceutiques, ainsi que celles qui fabriquent du matériel de home monitoring, sont trop occupées, et placées en conflit d'intérêt par leur lien avec l'Assurance-maladie qui représente l'essentiel de leur marché, si bien qu'elles ne prennent guère d'initiatives dans ce domaine, afin de rester politiquement correctes.
Les médecins, arc-boutés sur l'omnivalence du diplôme et l'exclusivité concernant le diagnostic, le traitement et la prescription, maintiennent ce qu'ils considèrent comme des avantages pour des raisons essentiellement financières, les tarifs de l'Assurance-maladie étant très bas, tout cannibalisme de leur clientèle mettrait en péril l'équilibre économique de leur activité.
Les hôpitaux et cliniques qui possèdent des centres d'urgences remplissent à tout va ces centres, et en aval les structures d'hospitalisation puisqu'il n'existe aucun contrôle de la pertinence de cette hospitalisation, et que par ce fait même nos habitudes dans ce domaine sont devenues aussi critiquables que celle de la consommation de certaines classes médicamenteuses.
Bien évidement, en mesurant le risque des hospitalisations non motivées et non nécessaires, il serait facile de mettre en évidence le coût exorbitant d'un tel fonctionnement.
Toutefois, en voulant à toute force exclure le marché du champ de la consommation des biens et services médicaux, l'État a provoqué, grâce à un énorme bug du planisme énarchique, une crise démographique des professions médicales, laquelle augure d'initiatives très variées dans ce domaine dans les prochaines années.
Pour autant, différents obstacles du droit positif verrouillent le fonctionnement actuel du système. On citera le monopole de l’Assurance-maladie, l’obligation de cotiser au monopole sans choix des garanties, les textes de loi sur l’exercice illégal de la médecine, l’interdiction de la publicité. De surcroît, des passe-droits bien commodes maintiennent pour le système de soins un statut d’exception : non respect du droit européen de la concurrence entre les établissements hospitaliers, opacité des coûts, des tarifs, et des contrats en matière d’assurance complémentaire et chez les professionnels eux-mêmes… Finalement, comme le système d'assurance-maladie actuel devra être modifié pour survivre, il est intéressant d'observer de telles expériences et de préciser, suivant la technique bien connue du benchmarking, ses avantages et ses erreurs.
J'ajouterais que, dans leur dénomination, ces Walk-in Health Clinics reprennent la thématique de la santé de la manière, la plus ambiguë, que j'ai déjà exposée dans mon précédent texte sur la différence entre santé et maladie. Bien évidemment, une ambiguïté chargée de sens.
Références
1. Freudenheim, Milt, "Attention Shoppers: Low Prices on Shots in Clinic", The New York Times, 14 mai 2006
2. Krauss, Clifford, "Canada Looks for Ways to Fix Its Health Care System", The New York Times, 12 septembre 2004
Les blogs de l'Institut Turgot - Le blog santé du Dr Guy-André Pelouze
lundi 10 novembre 2008
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire