vendredi 13 mai 2022
Un bureaucrate censé lutter contre la bureaucratie...
« Nous avons devant nous un chantier majeur de dé-bureaucratisation de l'hôpital »
Le président de la Fédération hospitalière de France tire les enseignements de l'immense mobilisation pour soigner les patients atteints du coronavirus. L'offre hospitalière de soins est sous-dimensionnée en raison de l'existence d'une couche bureaucratique déconnectée des réalités de terrain, estime-t-il. La régulation se concentre sur les hôpitaux et laisse de côté des pans entiers du système de soins, regrette-t-il.
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Frédéric Valletoux, le président de Fédération hospitalière de France (FHF). (Ludovic MARIN/AFP)
Par Solveig Godeluck
Publié le 8 avr. 2020 à 17:36Mis à jour le 9 avr. 2020 à 9:20
L'épidémie décélère un peu. Dans quel état est l'hôpital ?
Il est encore dans l'oeil du cyclone. Même si on a l'impression d'avoir atteint un plateau, le nombre d'hospitalisations liées au virus ne diminue pas encore. L'hôpital s'est installé dans une médecine de combat, avec des organisations exceptionnelles et dérogatoires, une mobilisation intense des femmes et des hommes qui y travaillent.
Tous les problèmes structurels qu'il traîne depuis des années ont été mis de côté. Il a retrouvé sa vocation première de lieu où l'on traite l'urgence, la prise en charge lourde sur des plateaux techniques sophistiqués, où convergent diverses compétences autour d'un même patient. C'est le coeur de métier, ce qui fait la singularité de l'institution. Cependant, lorsque la vague va refluer, tous nos problèmes vont resurgir avec encore plus d'acuité. C'est pourquoi j'attends beaucoup du grand rendez-vous pour l'hôpital annoncé le 26 mars par Emmanuel Macron .
Le directeur de l'Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est a été démis de ses fonctions après avoir dit que les économies programmées avant la crise seraient menées à leur terme. Il faut annuler les plans de réduction de coûts ?
Il y a énormément d'enseignements à tirer de cette crise. Le comportement du directeur de cette ARS symbolise certains dysfonctionnements du système. Il nous rappelle que ces dernières années, la construction de l'offre sanitaire publique s'est faite uniquement via des approches comptables, avec une grille de lecture univoque et des critères d'efficience poussés à l'extrême. Il met en évidence l'existence au sein du système de santé d'une couche bureaucratique qui pose problème, car il y a aux manettes des personnes complètement déconnectées du terrain. Nous avons devant nous un chantier majeur de dé-bureaucratisation.
Croyez-vous, comme l'a dit le ministre de la Santé, Olivier Véran, lundi, que « l'hôpital de demain ne pourra plus être l'hôpital d'hier » ?
Je me méfie des grandes phrases. Agnès Buzyn avait dit que l'hôpital était à bout de souffle, qu'on devait changer totalement son logiciel. Mais ça n'a pas débouché sur grand-chose. La santé a toujours été l'angle mort des débats publics. Dans les campagnes présidentielles, les candidats ne sont jamais entrés dans les détails.
Cette crise nous donne l'occasion de réaffirmer notre système de prise en charge universelle des soins, accessible à tous, plus ou moins gratuitement. Pour le conserver, nous devrons revoir certains équilibres, tels que la régulation du système. Elle est aujourd'hui focalisée sur les hôpitaux publics, car les Agences régionales de santé ont moins de pouvoir sur les cliniques ou les médecins libéraux. Elles gèrent les autorisations d'activité, mais elles ne pilotent pas les capacités comme elles le font à l'hôpital. D'où un système à deux vitesses, où l'offre publique se paupérise du fait de contraintes excessives.
Dans la mesure où la santé est un bien public financé par de l'argent public, les droits et les devoirs de tous les acteurs devront à l'avenir converger. Il faut que chacun assume ses responsabilités, la permanence des soins et les gardes, l'ouverture des blocs opératoires dans les mêmes conditions, sans choisir les patients.
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La coopération des établissements publics et privés n'est-elle pas l'une des réussites de cette gestion de crise ?
Oui, la coopération s'est globalement très bien passée, car le temps de l'urgence, chacun a oublié son statut. Certes, les cliniques n'ont pas tout de suite compris qu'on puisse leur imposer de déprogrammer leurs opérations alors qu'on ne leur envoyait pas immédiatement des patients ; et le public, qui a les plus gros plateaux techniques et l'habitude de travailler avec le circuit des urgences, a concentré les flux.
La doctrine, c'est de solliciter le privé ou les hôpitaux éloignés quand les capacités de l'hôpital public arrivent à saturation. Dans le Grand Est, il a fallu une dizaine de jours pour que la coopération se mette en place, mais il ne faut pas oublier que les modes de fonctionnement du public et du privé se sont beaucoup éloignés au fil du temps.
Maintenant, la pire chose qui pourrait nous arriver serait que chacun reparte dans ses anciennes habitudes, l'Etat dans son entêtement bureaucratique, le privé dans son fonctionnement, et que l'hôpital se referme sur lui-même et n'arrive pas à mieux dialoguer avec la médecine de ville. L'Etat doit se recentrer sur la vraie régulation ; les opérateurs assumer leurs missions d'intérêt général ; la régulation financière doit totalement changer.
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Comment faudra-t-il s'y prendre pour mener cette réforme ?
Je plaide depuis quelque temps pour une conférence citoyenne, afin de sortir de l'entre-soi des experts et que les Français puissent s'exprimer sur ce sujet fondamental. Depuis quinze ou vingt ans, la santé est le domaine qui a vu le plus grand nombre de rapports non mis en oeuvre ! Or c'est un bien commun, qui doit être demain un des grands sujets du débat public, pas celui qu'on traite à la marge des programmes électoraux une fois qu'on a fait tout le reste. J'espère qu'on pourra ainsi faire réémerger un peu de bon sens - se défaire de cette bureaucratie tatillonne et faire peser les mêmes responsabilités sur tous les acteurs - et repenser la gouvernance et le pilotage du système de santé.
Il faut refonder notre système via une approche par les territoires. L'Etat doit être capable de fixer les objectifs et laisser le local gérer leur déclinaison. Il doit aussi donner les moyens d'atteindre ces objectifs et évaluer les résultats des organisations mises en place sur le terrain. Nous serons de toute façon obligés d'inventer de nouvelles organisations, car il n'y a plus assez de soignants pour fonctionner comme avant. C'est en leur confiant une « responsabilité populationnelle » - vous devez soigner et accompagner la population de votre territoire - qu'on fera naître de vraies collaborations entre les soins de ville et l'hôpital.
L'un des enseignements de cette crise, c'est l'efficacité des pharmaciens. C'est une profession bien régulée, avec un réseau de proximité qui fonctionne ! Ils sont partout, avec une officine pour 2.000 habitants, et ils ont montré leur utilité.
Quelle forme doit prendre le plan massif pour l'hôpital promis par Emmanuel Macron ?
J'attends du grand rendez-vous une reconnaissance du fait que l'hôpital crée de la valeur, et qu'il ne se contente pas d'être une source de coûts. C'est un endroit où on soigne et où on produit de la recherche, en lien avec des entreprises innovantes. Or depuis quinze ans, on sous-finance l'hôpital, en lui donnant chaque année moins de recettes que la progression naturelle de ses dépenses. On l'a considérablement affaibli. La moitié des établissements investissent désormais moins de 3 % de leurs recettes.
La politique de resserrement de l'investissement a culminé avec la création sous le gouvernement précédent du Copermo, un comité de hauts fonctionnaires à Bercy qui donne son feu vert aux projets de façon totalement désincarnée, sans considération des impératifs de santé publique. Il faudra faire en sorte de revenir à un étiage de 5 à 6 milliards d'investissement par an, comme en 2013. Nous sommes tombés à 3,7 milliards en 2018. Les établissements ont besoin d'investir dans le numérique, l'équipement, l'immobilier.
Par ailleurs, l'enveloppe fermée des dépenses d'assurance-maladie, cet outil qu'on appelle l'Ondam, qui permet de gérer 220 milliards d'euros par an, est obsolète ! Il est inadapté à l'e-santé, aux coopérations entre soignants, à la médecine moderne, et personne n'y comprend rien. Il faut mieux financer l'hôpital en valorisant ses missions de service public.
Quant aux économies, c'est en travaillant sur la pertinence des actes qu'on en réalisera. Encore faut-il que les pouvoirs publics s'engagent résolument dans cette voie. A l'hôpital, nous sommes un des rares acteurs qui voulons voir cette question de la régulation par la pertinence mise dans le débat public.
Et pour les soignants ?
La reconnaissance de la nation va être essentielle. Il faudra que les primes promises soient universelles, pour les soignants, mais aussi les cadres, les administratifs, les techniciens… car tout le monde est allé au front, sans oublier les établissements médico-sociaux.
Par ailleurs, le « choc d'attractivité » que nous demandons depuis des années à la fédération est plus qu'urgent. Les métiers hospitaliers sont glorieux, mais parfois avec de la pénibilité, mal rémunérés, avec des progressions de carrière qui ne font pas envie. Nous demandons une juste rémunération de ces professions. Il faut remettre à plat le statut, revoir la grille indiciaire, valoriser l'engagement. J'espère qu'on va enfin entendre ceux qui plaident pour plus de souplesse dans les modes de management et de rémunération. Nous n'avons aujourd'hui aucune marge de manoeuvre sur les primes, aucune autonomie pour accompagner des équipes qui s'engagent plus que d'autres. Il faut libérer les hôpitaux de la trop forte présence des ARS.
N'y a-t-il pas aussi des choses à changer dans le fonctionnement interne des hôpitaux ?
Bien sûr. Est-ce que l'on n'a pas poussé trop loin la spécialisation médicale, avec des services trop cloisonnés ? Valorisons mieux la médecine polyvalente, dès les années d'études, afin de garder une vision d'ensemble du patient.
Autre enseignement de la crise : on n'a pas assez de lits de réanimation. Dans mon hôpital Sud Seine et Marne, qui compte 2.500 agents, l'ARS nous a imposé de limiter leur nombre à 8, alors qu'on aurait dû en avoir 12 ou 15 pour répondre aux besoins en temps normal. Nous sommes montés à 51 lits pour le Covid, ce n'est pas du ×2 comme partout ailleurs, mais du ×6 ! Du fait de la rationalisation trop poussée, l'offre hospitalière est sous-dimensionnée, alors que la population vieillit et les besoins de soins avec elle.
Je voudrais aussi attirer l'attention sur les établissements médico-sociaux et psychiatriques. Les Ehpad sont sous-médicalisés. D'où la nécessité d'y déléguer plus de tâches aux infirmières et aux aides-soignantes. Quant aux établissements pour personnes en situation de handicap, ils sont mal équipés pour faire face à un drame sanitaire. Enfin, les besoins en psychiatrie sont immenses, car elle est sous-financée depuis des années. Après la crise, il ne faudra pas faire l'impasse sur la grande réforme de la dépendance annoncée il y a deux ans.
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