Grand spécialiste de la pensée libérale, le philosophe Alain Laurent garde un œil acéré sur la production intellectuelle contemporaine qu’il aime confronter aux classiques. L’Opinion publie un extrait d’un article consacré aux «dérives progressistes» du libéralisme publié dans le n°5 du Journal des libertés (une publication de l’Association pour la liberté économique et le progrès social et de l’Institut de recherches économiques et fiscales.) L’éditeur des Belles lettres revient sur l’origine de l’acception du mot «libéral» en américain.
« Dans le cadre de l’extension du domaine de la lutte contre l’intox de fake news ayant réussi à envahir et parasiter l’histoire des idées en faisant passer un faux libéralisme pour le vrai, il faut rétablir les faits, redonner droit de cité à l’impératif de cohérence et tenir affabulations et falsifications pour ce qu’elles sont.
Que des penseurs convoqués pour incarner l’émergence d’un « nouveau libéralisme », puis la substitution de celui-ci au libéralisme historique sous le nom de « libéralisme moderne » ou « social » soient tous anglo-saxons (un Britannique et deux Américains) suggère la piste à remonter pour établir l’origine et la réalité de la tromperie sur marchandise suite à l’imposition d’un label usurpé. Quand, dans les années 1925-1930, Dewey et Keynes publient leurs ouvrages respectifs où ils défendent la thèse d’un « nouveau libéralisme » étatisé et socialisé, le contenu du terme liberalism a depuis longtemps déjà subi une forte inflexion en ce sens au Royaume-Uni. [...] Lorsqu’en 1925 Keynes répond affirmativement à son interrogation Am I a Liberal ?, c’est dans cette acception radicalement revue et corrigée qu’il faut le comprendre, il n’a fait que prendre en marche un train lancé il y a alors presque un demi-siècle. Et quand le promoteur historique du Welfare State au Royaume-Uni, Lord Beveridge, publie en 1945 Why I Am a Liberal, c’est bien naturellement aussi dans cette version social-étatiste qu’il convient d’interpréter sa profession de foi. Le cas de Dewey est un peu différent. Outre-Atlantique, cette version social-étatiste du liberalism venait tout juste de commencer à se diffuser par capillarité avec les cousins britanniques de même orientation idéologique. Mais c’est assurément Dewey qui, en la reprenant à son compte dans son libelle de 1935, va lui donner un large écho et l’imprimer dans un contexte américain où il n’avait auparavant pratiquement jamais été question de libéralisme.
Détournement lexical. Le plus étonnant mais aussi désastreux de l’histoire, c’est bien que cette altération du vocable « libéralisme » dans un sens gauchisé en totale contravention avec le legs de l’histoire des idées mais aussi la simple logique des concepts a été repérée, critiquée et souvent dénoncée par un nombre impressionnant et varié de lanceurs d’alerte et non des moindres comme on va pouvoir en juger – mais que face à son importation en France, pratiquement personne chez les chroniqueurs, commentateurs et autres auteurs traitant du libéralisme n’en tient compte, sans doute pas par hasard. C’est donc avant tout à leur usage que l’on va rigoureusement documenter ces « signalements » d’imposture intellectuelle.
En Europe, c’est ni plus ni moins que Ludwig von Mises qui, le premier en date, sonne le tocsin. Dès 1922, dans son Sozialismus, il avait décelé la supercherie en observant que « les “libéraux” anglais d’aujourd’hui sont plus ou moins des socialistes modérés ». Une clairvoyante caractérisation réitérée peu après en 1927 dans Liberalismus où il note d’emblée qu’« en Angleterre, il y a certainement encore des “libéraux”, mais la plupart d’entre eux ne le sont que de nom. En fait, ce sont plutôt des socialistes modérés. ». Et dans l’Annexe II de l’ouvrage intitulée A propos du terme libéralisme, il se fait plus explicite et mordant : « Presque tous ceux qui se prétendent de nos jours “libéraux” refusent de se prononcer en faveur de la propriété privée des moyens de production et défendent des mesures en partie socialistes et interventionnistes… » Il s’écoulera ensuite un certain temps avant que, sur le vieux continent, des voix s’élèvent pour pointer le dévoiement de sens infligé au terme « libéralisme » et incriminer le brouillage conceptuel tout sauf innocent qui en résultait.
Ce sera chose faite peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale, et pas par n’importe qui. C’est d’abord Raymond Aron qui s’en charge, en relevant dans son célébrissime et si salutaire Opium des intellectuels (1955) que « ce libéralisme [celui du « New Deal » de Roosevelt] ressemblait à celui de la gauche européenne plus qu’à aucune autre époque, puisqu’il comportait des éléments, atténués et américanisés, du socialisme (du travaillisme plutôt que du socialisme autoritaire) ». Deux ans plus tard, dans Espoir et peur du siècle (1957), il se montre plus incisif en indiquant à propos des libéraux américains que « ce mot n’a pas aux États-Unis le sens qu’il a en France. Le mot ne désigne ni les défenseurs des institutions représentatives ou des libertés personnelles, ni les économistes partisans des mécanismes du marché. Les libéraux américains constituent l’équivalent de la gauche française, ils souhaitent des réformes économiques dans un sens favorable aux masses. Je mettrai en italiques le mot libéralquand je l’emploierai dans le sens américain. » [...]
De l’autre côté de l’Atlantique, la réaction à l’« usurpation » et au gauchissement a été presque immédiate mais aussi plus vigoureuse. Dès 1928, le pré-libertarien Albert Jay Nock tempête : « De tous les hommes que je connais, les “liberals” sont ceux qui ont la plus grande horreur de la liberté, la plus grande crainte d’envisager une humanité vivant dans une libre association volontaire » (On Doing the Right Thing). Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, deux penseurs et économistes de grand renom prennent part à la contre-offensive. Fondateur historique de l’Ecole de Chicago, Frank Knight signale dans The Sickness of the Liberal Society (1946) que « le nouvel usage du mot “libéralisme” pour signifier un supposé étatisme démocratique – socialisme ou planification économique – nous oblige maintenant à explicitement restreindre le terme à la conception qui apparut sous ce nom dans la théorie de la philosophie sociale au XIXe siècle » – à savoir le seul « vrai » libéralisme.
Hayek: « Dans son usage courant aux Etats-Unis, le libéralisme signifie souvent essentiellement l’opposé de celui-ci. Cela fait partie du camouflage des mouvements de gauche dans ce pays que “libéralisme” en soit venu à vouloir dire: être l’avocat de la plupart des formes de contrôle gouvernemental »
Et Joseph Schumpeter (qu’on aura bien du mal à faire passer pour un horrible « ultra-libéral ») constate le plus objectivement du monde dans le chapitre II de la IIIe partie de son Histoire de l’analyse économique (1954) : « Le terme [libéralisme] a acquis un sens différent – en fait opposé – depuis 1900 et surtout 1930 : comme un suprême mais non-intentionnel compliment, les ennemis du système de l’entreprise privée ont jugé sage de s’en approprier le label. » Hayek pouvait-il demeurer en reste ? Que non pas, puisque dans la préface à la réédition américaine en poche (1956) de The Road of Serfdom, il juge nécessaire de préciser : « J’utilise le terme “libéral” dans son sens originel du XIXe siècle qui est toujours courant en Grande-Bretagne. Dans son usage courant aux Etats-Unis, il signifie souvent essentiellement l’opposé de celui-ci. Cela fait partie du camouflage des mouvements de gauche dans ce pays que “libéralisme” en soit venu à vouloir dire : être l’avocat de la plupart des formes de contrôle gouvernemental. »
Libéralisme collectiviste. On pourrait encore, toujours dans le contexte américain de l’époque, mentionner l’appréciation du « libertarian conservative » Frank Meyer (1909-1972) qui, dans In Defense of Freedom (1962), déplorant que « le terme “libéralisme” a été depuis longtemps capturé par les partisans d’un Etat tout-puissant et d’une économie contrôlée – et corrompu en l’opposé de son vrai sens », qualifie le « libéralisme » à l’américaine de… « collectivist liberalism ». Ou celle d’Ayn Rand, pour qui « les “libéraux” ont peur d’identifier leur programme par son vrai nom, ils justifient chaque nouveau pas ou chaque nouvelle mesure de ce qui est en fait de l’étatisme en les dissimulant par des euphémismes tels que “Welfare State”, “New Deal”, “New Frontier”… » (Conférence à Princeton le 7 novembre 1960). Mais le forfait étant dûment maintenant établi, il est temps de conclure en revenant en Europe et plus particulièrement en France en donnant sur ce point la parole finale à Jean-François Revel : « “Libéraux” désigne, on le sait, aux États-Unis, une sorte d’extrême gauche du parti démocrate. Sans être organisé politiquement, ce “libéralisme” exerce une influence diffuse mais souveraine grâce aux place-fortes qu’il commande dans la presse, l’édition et les universités. C’est évidemment le contraire du libéralisme au sens classique, lequel, d’ailleurs, en Amérique, répond à la dénomination de classical liberalism, pour éviter la confusion. »
En réalité c'est tout à fait différent à mon avis. le mot a été et continue à être abusé par des gauchistes libertaires qui dissertent du cannabis, du mariage entre homosexuels et d'ouvrir encore plus les frontières... Ces gens ne méritent pas une seconde de débat.
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