La polémique née à la suite de la plainte d’une jeune femme accusant son traitement contraceptif d'être à l'origine de son AVC ne cesse d’enfler. Que sait-on réellement des risques que font actuellement courir les contraceptifs hormonaux ?
La pilule anticonceptionnelle
estro-progestative dite combinée a été introduite en 1960 aux USA après les
travaux de Greg Pincus et autorisée en France en 1967 par la loi Neuwirth. Auparavant
les femmes disposaient de moyens contraceptifs beaucoup moins efficaces.
Dès le début, la
contraception hormonale a été associée à un risque absolu de complications
cardiovasculaires qui comprend la survenue d’un caillot dans une veine et sa
migration vers les poumons et la survenue d’un caillot dans une artère qui va
au cerveau ou au cœur (phlébite et/ou embolie pulmonaire, accident vasculaire
cérébral, infarctus du myocarde).
Le risque absolu moyen pour les
phlébites et embolie pulmonaire est de 4-8/100 000 sans pilule, 10-15/100 000
avec les 2G et 20-30/100 000 avec les 3G. Quand, prenant la pilule, on porte une mutation du
facteur V de la coagulation, ce risque passe à 285/100 000. Ce qui signifie que
le risque relatif est de 2 à 3 fois avec une pilule 2G et de 5 à 6 avec la
pilule 3G.
Le risque relatif
d’AVC est de 1,4 à 2,2 et celui d’infarctus du myocarde est de 1,33 à 2,28 sous
pilule dans la plus récente étude de 2012.
Ce risque
est difficilement prévisible dans sa composante génétique alors qu’il est bien
identifié en ce qui concerne la composante acquise c’est à dire l’inhalation de
tabac fumé et l’obésité. En d’autres
termes les femmes qui fument et sont en surpoids prennent un risque certain de
complications cardiovasculaires avec la pilule alors que celles qui ne fument
pas et ne sont pas en surpoids ne prennent qu’un risque très faible
essentiellement en fonction de leur prédisposition génétique. Toutefois parce ce risque moyen est faible,
il a été jugé acceptable au regard des bénéfices en terme de qualité de vie et
les différentes pilules ont obtenu des autorisations de mise sur le marché. Ceci
ne signifie en rien qu’il n’existe pas.
Ce risque est-il tellement accru par les troisième et quatrième générations de pilule qu’il faille envisager, comme l’a indiqué Marisol Touraine, leur retrait ?
L’innovation
thérapeutique s’est concentrée sur de nouvelles molécules afin d’améliorer la
contraception hormonale œstro-progestative : on a parlé de générations de
pilule. Les doses d’œstrogènes ont été réduites et de nouvelles molécules
testées. Dans le même temps, les autres moyens contraceptifs ont eux aussi
évolué, par exemple les stérilets et les anneaux hormonaux.
Dès fin
1995 des travaux ont pointé le risque augmenté de phlébite et d’embolie
pulmonaire avec les pilules de troisième génération qui permettent d’améliorer
la tolérance sur d’autres aspects chez certaines femmes. Ainsi cette nouvelle
génération de pilules présentait le paradoxe d’être mieux tolérée sur le plan
fonctionnel et métabolique tout en augmentant le risque d’accidents
vasculaires. Ceci semble aussi être le cas des pilules de 4ème
génération. Toutefois les résultats de la littérature scientifique sont très complexes
à analyser car les études en matière de survenues de complications
cardiovasculaires sont très différentes de part les combinaisons hormonales
testées ou bien la complication recherchée.
Peut-on parler de défaillance dans les cas de complications aujourd’hui médiatisées ?
Les affaires actuelles apparaissent plus
comme la résurgence juridique de complications possiblement sous-estimées que
comme de vraies nouvelles scientifiques – les premiers signalements datent en effet de 1996.
Les
nouveaux moyens de diagnostic permettent aujourd’hui mieux qu’hier d’établir un
lien de cause à effet entre des anomalies en particulier génétiques de la
coagulation, la prise de la pilule et l’accident thrombo-embolique (AVC, infarctus,
phlébite ou embolie pulmonaire). Ainsi les femmes sous pilule victimes d’une
complication grave en raison d’une anomalie génétique de la coagulation ont le
sentiment que cette complication aurait pu être prévenue si un test génétique
leur avait été proposé, ce d’autant qu’elles prenaient une pilule dont le taux
de complications cardiovasculaires est réputé plus élevé. Ce sentiment est
légitime même s’il est difficile de trouver une solution médicalement efficace
et économiquement soutenable – les anomalies, de surcroit, ne se résumant pas
aux deux plus fréquentes.
Le point le plus préoccupant n’est-il pas finalement le défaut d’information préalable ?
L’information
est aujourd’hui centrée sur le droit à la contraception, sur l’accès à la contraception
et sur la contraception hormonale combinée œstro-progestative. Les effets
secondaires sont minimisés les complications graves ignorées voire niées. Par
exemple des sites d’information diffusent des vidéos d’interview de médecins où
ces complications ne sont même pas citées… http://www.aufeminin.com/video-couple/pilule-moyen-de-contraception-n58924.html
Il faut rééquilibrer cette information
pour expliquer très clairement c’est à dire avec des chiffres les risques en
particulier de phlébite, d’embolie pulmonaire, d’infarctus ou d’AVC et
introduire la notion de rapport risque/bénéfice. Une information visuelle de ces
risques doit être introduite dans le mode d’emploi de ces médicaments avec des
schémas explicatifs du risque absolu et relatif. Il faut aussi explorer avec la
patiente les autres moyens contraceptifs, la pilule progestative simple pour
laquelle aucun surrisque cardiovasculaire n’a été mis en évidence, le stérilet
et d’autres moyens. Tout miser sur la pilule combinée c’est augmenter les
complications. Une femme informée prendra plus de précautions et sera en mesure
de mieux discerner les signes initiaux d’une complication grave. La primo
consultation pour prescription d’un moyen contraceptif devrait être mieux
rémunérée et tracée par un codage spécifique.
Globalement les acteurs sont-ils suffisamment responsabilisés ?
Il serait
dramatique de déstabiliser la confiance des femmes dans la contraception
hormonale œstro-progestative. or c'est précisément le résultat auquel on aboutit en minimisant les risques ou en agitant l'épouvatail d'une "épidémie d’avortements". Les femmes veulent une information réelle sur les risques et non pas de la morale.
Le risque
acquis, qui reste faible, rappelons-le, est double : le tabac et
l’obésité. Et il est parfaitement évitable. De ce point de vue, l’augmentation
du tabagisme et de l’obésité chez la femme concomitamment à l’augmentation du
nombre de femmes prenant une pilule œstro-progestative (plus de 50% des femmes
en âge d’avoir un enfant) a tout simplement augmenté le nombre de femmes
atteintes de complications. Il faut
dissuader les femmes qui fument ou qui sont obèses et a fortiori celles qui
cumulent les deux facteurs de risque de choisir la pilule combinée comme moyen
contraceptif. La leur prescrire ne devrait plus être considéré comme une convenance
devant leur insistance. Il faut refuser la prescription et proposer un
autre moyen.
En effet
comment expliquer que l’on dissuade les femmes de prendre une troisième
génération qui peut augmenter le risque relatif d’un facteur 1,5 à 5 alors que
fumer le multiplie par 9 et que l’obésité pour un IMC>25 le multiplie par 10
! C’est tout simplement irrationnel (notes 1, 2).
Génétique, ce risque devrait pouvoir
être au moins partiellement évité grâce à des tests ciblés quand la personne
présente des antécédents familiaux et/ou personnels prouvés. Cependant le coût de ces tests est un
sujet car il est d’environ 43 € pour le facteur V Leiden et de 54 € pour le
facteur II, soit 103 € non remboursés. Et ces deux anomalies ne représentent
pas tout à fait la moitié des anomalies potentiellement responsables de
phlébites ou d’autres accidents vasculaires. Mais ce coût reste à mettre en
balance avec les conséquences coûteuses de ces complications. Avec 3,9
milliards de transports médicaux il y a des choix à faire.
Les médias
ont aussi un rôle à jouer mais le rôle des soignants et de tous ceux qui sont
en contact avec les femmes au moment du choix est capital.
Le recours à la pilule a-t-il été trop systématisé ?
Tout avis médical
doit être personnalisé. La vie d’une femme en âge de procréer n’est pas
linéaire il faut donc adapter avec elle les moyens contraceptifs aux besoins de
sa période de vie. La prise d’une pilule combinée à vie est la solution la
moins adaptée car le rapport bénéfice/risque d’un moyen contraceptif varie tout
au long de la vie.
S’agissant
du début de la contraception il faut à tout prix dépister les femmes à risque. C’est
pourquoi une connaissance approfondie des antécédents familiaux et personnels
est essentielle. Après l’interrogatoire des initiatives simples peuvent
permettre de dépister les personnes à risque. Ensuite on doit conseiller à ces
personnes à risque soit une autre contraception soit un dépistage d’anomalies thrombophiliques
(prédisposition génétique à la formation de caillots). Ces investigations
peuvent être conduites par tout médecin car elles sont prescrites à d’autres
patients dans d’autres contextes. Résumer
les problèmes actuels à une prescription trop fréquente de pilules de 3 et 4ème
génération ou à une insuffisance médicale des généralistes n’est basé sur
aucune preuve.
Le signalement des complications devrait-il être amélioré ?
La culture
de la pharmacovigilance ne se décrète pas elle s’apprend. De ce point de vue,
la formation initiale et continue des médecins et des autres soignants sont
améliorables. Ensuite elle doit être rémunérée car elle prend du temps. En lien
avec les centres de pharmacovigilance, le signalement peut être de meilleure
qualité si les médecins sont honorés pour ce travail et si le suivi et la pertinence
des informations sont vérifiés. La base de données française est considérable puisque
le pourcentage de femmes prenant la pilule est un des plus élevés de l’OCDE mais
elle demeure peu exploitée. L’assurance maladie et les unités de recherche
publique peuvent en raison du monopole mesurer les consommations, tracer les
complications et publier les résultats dans le cadre du suivi de tout
médicament. Ces données devraient être publiques dans le cadre de l’open data.
Mais il est également nécessaire de développer dans le même
temps la recherche et l'innovation en matière de contraception. Les cas de complication grave, pour
rares qu’ils soient, ne peuvent que se multiplier avec l’augmentation de
prévalence des facteurs de risque que sont le tabagisme, l’obésité et le
diabète dans les sociétés développées. Et ce alors même que le dépistage
d’anomalies génétiques pré disposantes serait effectué. Mais dans les pays en
développement où la contraception est peu utilisée et où les enjeux de contrôle
des naissances sont capitaux, de nouvelles méthodes plus sures sont aussi
attendues.
Faut-il craindre la tournure qu’a pris le procès fait à la pilule ?
- Sur le plan sociétal les complications récemment médiatisées viennent nous rappeler qu’il n’existe pas de médicament fut il accessible à tous et payé par la collectivité qui ne recèle aucun risque. La pilule contrairement à ce qui est clamé n’est ni un bien ni un mal, ce n’est pas plus une fin sociétale progressiste mais c’est un moyen de contraception. La seule fin c’est l’être humain et la préservation de sa santé. A ce sujet il serait utile de vérifier que les récentes dispositions concernant la prise en charge par la collectivité de la pilule chez les 15-18 ans n’entrainent pas une déresponsabilisation et/ou une diminution des conseils et de la personnalisation des prescriptions. Si cette prescription est effectivement élargie à des non médecins cette étude de la qualité des soins est indispensable.
- Sur le plan juridique on peut regretter l’absence d’action de groupe qui dans ce cas permettrait de briser l’isolement de personnes fragilisées moralement et économiquement par la survenue de complications graves et inattendues.
- Sur le plan médical le non remboursement des pilules 3 et 4G est une mesure infondée car la dépense d’argent public ne peut résider sur des comparaisons statistiques aussi ténues. A vrai dire cette économie est bienvenue pour financer la « gratuité » décrétée pour une classe d’âge. Il serait plus fondé d’insister sur l’incompatibilité du tabagisme et de la pilule mais aussi des risques ajoutés par l’obésité et le diabète. Les prendre en compte permet non seulement de diminuer les complications de la pilule mais de prolonger la vie des femmes en saisissant cette opportunité de prévention en santé publique.
1/ Pomp ER, Rosendaal FR, Doggen CJ. Smoking increases
the risk of venous thrombosis and
acts synergistically with oral contraceptive use. Am J Hematol. Feb
2008;83(2):97-102.
Morteza Abdollahi, Mary Cushman, Frits R. Rosendaal
Thrombosis
and Haemostasis 2003 89 3: 493-498
Articles de base
http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1606/publi_pdf1_492.pdf
http://www.medpagetoday.com/OBGYN/GeneralOBGYN/33256
Articles de base
http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1606/publi_pdf1_492.pdf
http://www.medpagetoday.com/OBGYN/GeneralOBGYN/33256
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