""Non, il ne suffit pas de s'affirmer adversaire de la mondialisation marchande, et de lutter contre elle, même avec héroisme, dans de grandes émeutes festives ; encore faudrait-il diverger notablement des valeurs de cette mondialisation marchande diffuse et instable, et surtout faudrait-il commencer par s'affranchir du mythe angélique d'un monde sans frontières qui est justement la nouvelle frontière de la mondialisation, c'est-à-dire son illusion lyrique spécifique.
Je ne crois pas que ce soit le cas. Ceux qui veulent avec fureur la libre circulation des capitaux et ceux qui combattent pour la libre circulation des personnes (notamment celle des immigrés sacro-saints) se battent du même côté. Ce sont tous de frénétiques déterritorialisateurs, des effaceurs de frontières,donc des partisans du nouveau monde confuso-onirique d'où les anciennes souverainetés, produits de l'humanisation, se retrouvent bannies à jamais.
Entre ces frères ennemis, je ne vois se dessiner aucun antagonisme essentiel. Ceux qui voudraient à juste titre qu'une économie devenue folle repasse sous le contrôle des humains, n'ont apparemment aucune objection contre l'accroissement illimité de l'Empire mondial de la justice. par exemple. Et, par-dessus le marché, ils n'ont pas l'air de se demander un seul instant si ces humains sous le contrôle desquels ils voudraient que l'économie repasse sont encore des humains. Ce sont aussi ceux qui, dans tant d'autres domaines, s'enthousiasment pour des innovations monstrueuses qui sont autant d'avancées vers la sortie de l'humanité.
Les manifestants de Gênes me paraissent tout aussi soumis à la modernité enchantée, matriarcale et planétaire, que les maîtres transnationaux qu'ils contestent. C'est pour cela que leurs furibondes guérillas urbaines ne sont encore que du théâtre de rue, sait une forme parmi d'autres (et « artistique » qui plus est, donc éminemment coupable !) de la soumission.
On ne peut pas transiger avec le monde contemporain qui vous assure tout en même temps : le progrès, la liberté, la transgression, la disparition des frontières, l'effacement des sexes, la liquidation de l'humain, le règne de la folle heureuse, etc. Il faut le rejeter en entier. Et d’abord rejeter ce qui semble ses bienfaits les moins contestables.
Ce n'est pas un droit, c'est un devoir."
Dans "Festivus Festivus"
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