vendredi 25 mai 2018

Trop de temps avant que je fasse le chemin: à Rudolf Vrba (האַשאָלעם) mes larmes d'adolescent

2018.
Nous étions dans ce bus à destination d'Auschwitz Birkenau en Pologne il y a quelques semaines. Là, les nazis, comme dans d'autres camps d'extermination ont industrieusement interrompu la civilisation avec détermination, conscience et application. Ils sont éterlnellement responsables coupables et rien n'est à la profondeur du crime de la Shoah, ni les mots ni nos pélerinages ni nos larmes. Cette monstruosité dépasse  tout ce que nous avons imaginé comme souffrance car elle engloutit. Pendant que les nazis agissaient il n'y avait plus rien de pensable, le mal et surtout la mort étaient la fin, c'était devenu un grand vide civilisationnel après la brèche. Un tel abysse que sa narration a d'abord provoqué l'incrédulité.

A force d'inventions toutes tragiquement inspirées par la déhumanistaion la souffrance et la mort les nazis ont construit cet univers d'extermination où l'abomination l'avilissement se font concurrence. Il s'en est suivi cette chute. La rupture, le vide et l'effondrement sans limite. Cette chute fut gigantesque et entraina avec elle d'autres humains à l'extérieur des camps, dans tous les pays; partout le juif était une cible sans risque pour le tueur. Partout une banalité trop humaine a conduit à l'agression, à la spoliationà l'avilissement et à la mort la plus terrible. L'Europe s'est engloutie dans cette brèche civilisationnelle. Elle s'est perdue. Et nul ne peut aujourd'hui dire ce qu'il aurait été "capable" de faire. 


Cette  spirale du mal, si banal, je l'avais ressenti très fort quand adolescent j'ai lu: 
"Je me suis évadé d'Auschwitz" de Rudolf Vrba.




Cet extrait est en caractères plus petits, les mots sont des coups de poignard, ils font peur.

"Le camion s’arrêta dans un bois, en descendant je me disais qu’au moins tout ce qu’il me serait donné de voir maintenant ne pourrait plus m’ébranler, que nous avions touché le fond de l’horreur pour aujourd’hui. J’avais tort, Birkenau avait encore des réserves dans ce
domaine !

 L’air, malgré le froid intense était un peu tiédasse et il n’était pas difficile de comprendre pourquoi. Tout autour de nous s’étendaient des fosses assez grandes pour contenir toute une rangée de maisons. Ces fosses répandaient dans le ciel les lueurs rouges que l’on voyait depuis le camp de base, de grandes plaies béantes dans la forêt, elles ne brûlaient plus mais elles fumaient encore.

 Je me dirigeai au bord de l’une de ces fosses et regardai. La chaleur me frappa au visage et dans le fond de ce grand four à ciel ouvert, je vis des os, des petits os, des os d’enfants.

 Moses murmura :

 — C’est la volonté de Dieu.

 Je n’eus pas le temps de répondre car on nous intima l’ordre de nous mettre au travail dans un énorme baraquement d’environ soixante mètres de long. Le moindre espace était couvert de vêtements de toutes dimensions, formes ou qualités et l’on nous avertit que notre tâche était d’en
enlever suffisamment pour que les détenus de Birkenau aient la place de travailler.

 Je me mis au travail comme un aveugle, comme un automate, essayant d’oublier la puanteur de l’endroit, de chasser l’image de ces femmes de mon esprit mais en pure perte. Chaque fois que je ramassais un vêtement d’enfant je pensais à ces os, chaque fois que je chargeais un lot de
vêtements féminins je pensais à celles qui étaient nues.

 On travailla trois heures dans ce baraquement comme des fourmis creusant des sillons dans un cimetière, et quand ce fut fini et qu’on se retrouva dans le camion, je fus tout à coup saisi par la frayeur de revoir ces femmes et en même temps attiré par une sorte d’abominable
fascination. Je devais savoir, pensais-je, ce qui leur était arrivé, combien d’entre elles étaient restées, combien d’entre elles allaient mourir.

 Elles étaient toujours là, nues dans le froid glacial ; mais cette fois les rangées étaient clairsemées et les camions bourrés au maximum. Seul le silence, le silence oppressant était le même, mais
à mesure que nous nous approchions il fut brutalement rompu.

 Les moteurs de quarante camions se mirent à rugir simultanément faisant trembler l’air immobile, le dominant, sans réussir pourtant à masquer la honte de l’abominable forfait.

 Des gorges de ces milliers de femmes sur le point de mourir, s’éleva une plainte prophétique de plus en plus aiguë, de plus en plus forte qui n’en finissait pas, une protestation vibrante que seule la mort
pouvait interrompre, puis ce fut l’inévitable panique.

 Les camions s’ébranlèrent. Une femme sauta par-dessus bord puis une autre et encore une autre. Les SS se précipitèrent avec les matraques et les fouets pour empêcher les autres de les suivre. Celles
qui avaient sauté furent battues et essayèrent de remonter.

 Elles tombèrent sous les roues des camions qui roulaient de plus en plus vite jusqu’à ce qu’on ne les vit plus.

 Moses Sonenschein dit dans un murmure :

 — Il n’y a pas de Dieu.

 Puis sa voix s’enfla en un cri :

 — Ici il n’y a pas de Dieu et s’il y en a
un, maudit soit-il, maudit soit-il, maudit soit-il !

 Là encore je ne dis rien, il n’y avait rien à dire. Au lieu de cela je tournai le dos à Birkenau avec l’espoir de ne plus jamais revoir ce lieu.

 Je suis content rétrospectivement de me souvenir qu’à cet instant précis, je ne savais pas que je serais bientôt transféré du camp de base à Birkenau et que j’y resterais un an et demi."




http://vrbawetzler.eu/img/static/Prilohy/The-Auschwitz-Protocol.pdf 

https://libcom.org/files/Rudolf%20Vrba%20-%20I%20escaped%20from%20Auschwitz.pdf

https://www.jewishvirtuallibrary.org/jsource/Holocaust/auschprotocol.pdf

https://openlibrary.org/works/OL4232037W/I_cannot_forgive

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