vendredi 17 mai 2019

Glyphosate: radiographie d’une intoxication collective


Emmanuelle Ducros dans l'Opinion
15 mai 2019 à 06h00

Un jugement ne fait pas une vérité scientifique. Les prétendus effets cancérogènes du glyphosate, utilisé depuis quarante ans, n’ont jamais été démontrés. Aucune agence sanitaire n’exige son interdiction. Le produit semble surtout nocif pour la rationalité

La firme Bayer, propriétaire de Monsanto, a été condamnée lundi aux Etats-Unis à payer la somme record de 2 milliards de dollars de dommages et intérêts à deux personnes atteintes de cancers. Celles-ci attribuent leur maladie à l’usage de l’herbicide Round up de Monsanto, à base de glyphosate.

A chaque civilisation, ses démons. La nôtre a le sien : le glyphosate. Comment cet herbicide en est-il venu à incarner le mal aux yeux de ses détracteurs, bien que la science démente ses supposés méfaits ? Un retour en arrière s’impose.

En 1996, lorsque la communauté internationale bannit les essais nucléaires, l’ONG Greenpeace se trouve privée de son combat historique. Pour survivre, elle doit s’en trouver un autre. Monsanto sera l’épouvantail idéal : la multinationale de l’agrochimie a déjà sale réputation pour avoir produit l’agent orange, défoliant utilisé lors de la guerre du Vietnam. Monsanto est alors en train de lancer ses premières plantes OGM. Or, l’entreprise n’a pas développé des plantes résistantes à la sécheresse ou à un parasite… mais capables de survivre à un herbicide qu’elle vend elle-même depuis 1974 : le Round up, à base de glyphosate. Jackpot pour Monsanto qui vend à la fois les semences et le désherbant.

Ce cynisme est, pour Greenpeace, un argument en or. D’autres ONG sud-américaines, d’abord, s’en saisissent. Puis les mouvements altermondialistes. Le glyphosate devient symbole de l’OPA de Monsanto sur l’agriculture mondiale. Et qu’importe si la molécule est tombée dans le domaine public en 2000. Qu’importe que 80 % du glyphosate mondial soit produit aujourd’hui par d’autres firmes. S’opposer au glyphosate, c’est s’opposer à une multinationale sans foi ni loi. C’est vrai, Monsanto n’est pas une entreprise sympathique. Cela fait-il de son Round up un tueur de masse pour autant ?

Les effets nocifs sur la santé du glyphosate, pesticide le plus utilisé au monde, ne sont pas démontrés. Pour ses opposants, le fait que le CIRC, une des agences de l’Organisation mondiale de la santé, l’ait classé « cancérogène probable » en 2015 a clos le débat. Voilà qui hérisse les scientifiques. Car l’avis n’est qu’une estimation de danger. « Le danger est, en toxicologie, la propriété d’une molécule d’avoir un effet toxique. Il n’est pas synonyme de risque. Le risque est la probabilité d’être exposé au danger à une dose toxique », précise la toxicologue Dominique Parent-Massin, dans une note de l’Académie d’agriculture.

Pour prendre une image, le danger pour un avion, c’est de tomber. Tous les avions peuvent tomber mais le risque, c’est la probabilité d’être dans un avion qui tombe : il est infime. Pour la toxicologue, « interdire un produit sur la base du danger équivaut à interdire à tous les avions de voler parce qu’ils peuvent tomber. »

D’ailleurs, les 11 agences sanitaires au monde (Efsa en Europe, Anses en France, EPA aux Etats-Unis…) ont un avis unanime sur le glyphosate : correctement utilisé, il ne présente pas de risque. L’Efsa a, en 2015, passé toute une palette de sujets de santé en revue,avant de réitérer l’autorisation du glyphosate. Le 11 janvier dernier, l’agence Health Canada a fait de même. Le 30 avril, et malgré la lourde condamnation de Monsanto par la justice américaine à verser 79 millions de dollars à Dewayne Johnson, un jardinier californien atteint d’un cancer qu’il attribue au glyphosate, l’EPA américaine n’a pas cillé devant ce qui est un acte judiciaire, émotionnel, et non scientifique. « L’EPA maintient qu’il n’y a pas de risque pour la santé publique lorsqu’il est correctement utilisé. Il n’est pas cancérogène. », écrit l’agence.

L’Anses, l’agence française, est en train de lancer à son tour une nouvelle revue du produit. Mais elle est plus mal à l’aise que ses homologues car elle a été déjugée par le gouvernement qui, sans tenir compte de son avis et sans justification scientifique, a décidé d’interdire le produit d’ici à 2021. Seul en Europe.

Pour les détracteurs du glyphosate, cette unanimité scientifique est suspecte. Ils accusent Monsanto d’avoir produit lui-même la littérature scientifique justifiant l’autorisation de son produit. « Absurde. Ce processus est la norme, explique Antony Fastier, toxicologue, ancien de l’Anses. Les études réglementaires doivent être fournies par les entreprises. Elles ne font pas ce qu’elles le souhaitent. L’OCDE édicte les directives, la liste des tests à pratiquer, et il faut respecter les bonnes pratiques de laboratoire. Toute l’industrie est logée à la même enseigne. Par ailleurs, il est irréaliste de penser que c’est au secteur public de réaliser les études. Une firme dépense en moyenne 250 millions de dollars pour cela. » Que Monsanto ait fait du lobbying ne fait pas de doute. Que le produit doive son homologation au lobbying ne relève que de la supposition.

Pour le toxicologue, les agences de santé intègrent en outre toute la littérature produite sur le sujet. Et sur le glyphosate, il y en a eu plusieurs dizaines. Aucune d’alarmante. « Les diverses études du biologiste Séralini et de l’institut Ramazzini, qui ont tenté de démontrer la cancérogénicité du glyphosate, encore brandies par les opposants au produit, sont à mettre à la poubelle », assène Antony Fastier, qui a participé à l’Anses à l’expertise des travaux de Gilles-Eric Séralini, aujourd’hui unanimement rejetés par la communauté scientifique. Il poursuit : « Ces études ont été bâties pour répondre à des conclusions pré-écrites et sont truffées de biais. Celles sur la tératogénicité éventuelle du glyphosate, c’est-à-dire ses effets fœtaux, ne montrent rien. Rien non plus pour la mutagénèse, la neurotoxicité. Les études sur les perturbations endocriniennes ont adopté des méthodes étranges qui faussent les résultats. »

Et puis il y a les retours d’expérience. Voilà quarante ans que le glyphosate est utilisé. Les cohortes d’agriculteurs étudiés par la Mutualité sociale agricole (Agrican sur 180 000 personnes) et AHS (50 000 agriculteurs sur vingt ans, aux Etats-Unis) ne montrent pas de risques accrus de cancers chez ceux qui sont pourtant exposés au glyphosate au premier rang, sauf sur une forme rarissime de lymphome.

Las. Contre toute raison, l’accumulation d’études rassurantes est balayée d’un revers de main par les opposants au glyphosate qui réclament l’application du « principe de précaution », défini dans la déclaration de Rio adoptée par l’ONU en 1992. « L’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour ne pas interdire », dit en substance le texte. Imparable ! Personne n’a démontré que le glyphosate était toxique, mais il est impossible de démontrer qu’il ne l’est pas de façon absolue, puisque le champ des recherches est infini...

L’opinion publique, travaillée au corps par les procès perdus de Monsanto, les études alarmistes, les fichiers secrets d’opposants, la peur entretenue, est mûre pour l’intoxication. Au point, obsédée par le glyphosate, d’oublier de se pencher sur d’autres pesticides, naturels ou de synthèse, peut-être réellement dangereux mais toujours autorisés. Avec le glyphosate, ce n’est pas notre santé qui est en danger, c’est notre raison.

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