"Chronique
Trois doutes, trois paris, par Eric Le Boucher
LE MONDE | 21.04.07 | 13h30 • Mis à jour le 21.04.07
| 14h13
On
s'est souvent plaint, ici, de la faiblesse de la campagne électorale
pour ne pas en souligner, in fine, les aspects positifs. Ils tiennent
en deux chiffres.
En 2002, les trois candidats des grands
partis n'avaient recueilli que 42,90 % des voix au premier tour
(Jacques Chirac, Lionel Jospin et François Bayrou). La défiance à leur
égard était à son plus haut. En 2007, les trois candidats de ces grands
partis devraient obtenir 70,66 %, selon la moyenne des scores des six
instituts de sondage (graphique).
Si la réalité dimanche soir correspond à ces
estimations, près d'un électeur sur trois aura rejoint ces grandes
organisations. Une réhabilitation très réussie dont il faut féliciter
Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou.
Cette réhabilitation a un sens : les Français ont tiré la leçon de
l'échec de leur attitude purement négative du "rejet" (extrême
droite) et de la "résistance" (extrême
gauche) de 2002 et de 2005 (le non au référendum européen), qui n'a
conduit qu'à l'immobilisme intérieur et extérieur dont Jacques Chirac
aura été le président. Si les trois grands regagnent des électeurs,
c'est par leur qualité propre, mais aussi par "rejet du rejet", comme
choix stérile, et "rejet de la résistance" (au capitalisme), qui n'a
consolidé que les privilégiés. Parmi les douze candidats de 2007, tous
sauf les trois grands (et Mme Voynet) poursuivent la
stratégie immobiliste du non. Six électeurs sur dix les suivaient en
2002, sept sur dix ne les suivent plus en 2007.
L'heure était venue de comprendre que d'autres pays ont vaincu le chômage et que, par conséquent, la crise qui persiste en France a des causes qui ne relèvent ni de l'Europe ni du monde, mais d'elle-même : son défaut d'adaptation aux réalités du XXIe siècle. L'heure est à l'atterrissage pragmatique : pour défendre le modèle français, il faut le rénover (beaucoup) et non plus s'arc-bouter sur les avantages acquis. La France devrait donc avoir franchi un grand pas vers les réformes urgentes indispensables. Ouf !
Mais, une fois posé ce satisfecit, quel est le degré de conversion réelle des candidats à ces réformes ? On peut, hélas, formuler trois doutes.
Le premier porte sur l'analyse. Il n'est pas sûr que nos trois candidats aient saisi l'ampleur des changements que rendent nécessaires la mondialisation, le nouveau capitalisme actionnarial et l'accélération technologique. La stratégie d'hier de "défense" et de "protection" affleure encore en permanence dans leurs propos. Bien peu de fois ont été prononcés les mots de "Chine" et d'"Inde" et encore moins souvent a-t-on exposé aux électeurs les moyens clairs qu'il fallait mettre en oeuvre pour relever leur historique défi.
Bref, le doute est que, au lieu d'une stratégie résolue et de long terme dont les fruits ne mûriront qu'au-delà de son mandat de cinq ans, le futur président se satisfasse de réformettes politiquement "payantes".
Le deuxième doute porte sur la cohérence. On a compris que pour l'emporter il fallait "faire de la triangulation", c'est-à-dire proposer des mesures de gauche quand on est de droite et vice versa, ou proposer comme M. Bayrou du ni gauche ni droite (Parler pour gagner, de Jean-Louis Missika, Alexandre Dézé et Denis Bertrand, édition Les Presses de Sciences Po). Mais économiquement c'est l'incohérence. Suède et Grande-Bretagne ont montré qu'on pouvait réussir dans la mondialisation en plaçant très différemment le curseur de la solidarité entre responsabilité collective-responsabilité individuelle, autrement dit en ayant un niveau global d'impôts haut (gauche) ou faible (droite). Mais encore faut-il une logique générale. Elle manque beaucoup. Par exemple, l'hostilité du PS aux fonds de retraite par capitalisation est incohérente avec sa volonté de protéger le capital des champions industriels.
Dernier doute : comme leurs dépenses sont excessives, les candidats vont-ils faire un "bon" tri dans leurs promesses et éliminer celles à caractère populiste (comme celle, inouïe, de Nicolas Sarkozy de réindexer les salaires sur l'inflation) ?
Tout cela donne un vote hésitant. Aucun candidat n'a proposé, de façon convaincante, une analyse globale, une vision cohérente et des mesures ajustées. D'où trois paris, pour ce qui est de l'économie et du social.
Pour Nicolas Sarkozy, le pari porte sur l'analyse elle-même. L'abandon du terrain libéral en cours de campagne et son repliement sur des thèmes sociaux et protectionnistes est-il dû à un mouvement de tactique électorale ou correspond-il à sa conviction profonde ? M. Sarkozy baigne-t-il encore dans le bain historique, corporatiste et nationaliste, du gaullisme ? Croit-il encore, comme l'inspirateur de ses discours Henri Guaino, que ce qui a fait la réussite de la France sous Pompidou marchera à l'heure de l'innovation permanente et du capitalisme schumpétérien ?
Pour François Bayrou, le pari est politique : il faut qu'il puisse trouver une majorité de gouvernement stable, par exemple en forçant une cassure en deux du PS. On y croit ou pas.
Pour Ségolène Royal, le pari porte sur la cohérence. Le PS n'ayant de logiciel qu'antique, la candidate n'était programmatiquement pas prête. Le pari est qu'elle s'améliore vite. Qu'elle puisse continuer d'arracher son parti de sa gangue archaïque et le conduire jusqu'à trouver comment marier, et surtout financer, innovation et solidarité.
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L'heure était venue de comprendre que d'autres pays ont vaincu le chômage et que, par conséquent, la crise qui persiste en France a des causes qui ne relèvent ni de l'Europe ni du monde, mais d'elle-même : son défaut d'adaptation aux réalités du XXIe siècle. L'heure est à l'atterrissage pragmatique : pour défendre le modèle français, il faut le rénover (beaucoup) et non plus s'arc-bouter sur les avantages acquis. La France devrait donc avoir franchi un grand pas vers les réformes urgentes indispensables. Ouf !
Mais, une fois posé ce satisfecit, quel est le degré de conversion réelle des candidats à ces réformes ? On peut, hélas, formuler trois doutes.
Le premier porte sur l'analyse. Il n'est pas sûr que nos trois candidats aient saisi l'ampleur des changements que rendent nécessaires la mondialisation, le nouveau capitalisme actionnarial et l'accélération technologique. La stratégie d'hier de "défense" et de "protection" affleure encore en permanence dans leurs propos. Bien peu de fois ont été prononcés les mots de "Chine" et d'"Inde" et encore moins souvent a-t-on exposé aux électeurs les moyens clairs qu'il fallait mettre en oeuvre pour relever leur historique défi.
Bref, le doute est que, au lieu d'une stratégie résolue et de long terme dont les fruits ne mûriront qu'au-delà de son mandat de cinq ans, le futur président se satisfasse de réformettes politiquement "payantes".
Le deuxième doute porte sur la cohérence. On a compris que pour l'emporter il fallait "faire de la triangulation", c'est-à-dire proposer des mesures de gauche quand on est de droite et vice versa, ou proposer comme M. Bayrou du ni gauche ni droite (Parler pour gagner, de Jean-Louis Missika, Alexandre Dézé et Denis Bertrand, édition Les Presses de Sciences Po). Mais économiquement c'est l'incohérence. Suède et Grande-Bretagne ont montré qu'on pouvait réussir dans la mondialisation en plaçant très différemment le curseur de la solidarité entre responsabilité collective-responsabilité individuelle, autrement dit en ayant un niveau global d'impôts haut (gauche) ou faible (droite). Mais encore faut-il une logique générale. Elle manque beaucoup. Par exemple, l'hostilité du PS aux fonds de retraite par capitalisation est incohérente avec sa volonté de protéger le capital des champions industriels.
Dernier doute : comme leurs dépenses sont excessives, les candidats vont-ils faire un "bon" tri dans leurs promesses et éliminer celles à caractère populiste (comme celle, inouïe, de Nicolas Sarkozy de réindexer les salaires sur l'inflation) ?
Tout cela donne un vote hésitant. Aucun candidat n'a proposé, de façon convaincante, une analyse globale, une vision cohérente et des mesures ajustées. D'où trois paris, pour ce qui est de l'économie et du social.
Pour Nicolas Sarkozy, le pari porte sur l'analyse elle-même. L'abandon du terrain libéral en cours de campagne et son repliement sur des thèmes sociaux et protectionnistes est-il dû à un mouvement de tactique électorale ou correspond-il à sa conviction profonde ? M. Sarkozy baigne-t-il encore dans le bain historique, corporatiste et nationaliste, du gaullisme ? Croit-il encore, comme l'inspirateur de ses discours Henri Guaino, que ce qui a fait la réussite de la France sous Pompidou marchera à l'heure de l'innovation permanente et du capitalisme schumpétérien ?
Pour François Bayrou, le pari est politique : il faut qu'il puisse trouver une majorité de gouvernement stable, par exemple en forçant une cassure en deux du PS. On y croit ou pas.
Pour Ségolène Royal, le pari porte sur la cohérence. Le PS n'ayant de logiciel qu'antique, la candidate n'était programmatiquement pas prête. Le pari est qu'elle s'améliore vite. Qu'elle puisse continuer d'arracher son parti de sa gangue archaïque et le conduire jusqu'à trouver comment marier, et surtout financer, innovation et solidarité.
Eric Le Boucher"
Qu'ajouter sinon que manifetsement nos moeurs politiques sont très loin de la réalité dévorante de la dette. Nous en paierons les conséquences.
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