samedi 14 décembre 2019

Le discours sur la vertu d'Alain Finkielkraut

Ce discours est une émotion esthétique et intellectuelle.
Extrait:
"Regardez autour de vous. Les festivals culturels qui font le charme inégalable des étés européens sont tous à son image et ressemblance. L’esprit de Tante Céline plane sur la plupart des mises en scène de théâtre et d’opéra. Qu’il s’agisse de Didon et Enée de Purcell ou de l’Odyssée d’Homère, le propos est toujours le même : vaincre l’exclusion, célébrer l’hospitalité, effacer les frontières, abattre les murs de la forteresse. Plus de fable qui ne comporte sa leçon, plus de créateur qui ne soit transformé en prédicateur. On fait dire et répéter à des poètes et des compositeurs sans défense qu’aucune appartenance ne doit être tenue pour essentielle, si ce n’est l’appartenance à l’humanité. Les innombrables descendants que le traumatisme hitlérien a donnés à Tante Céline ne cherchent ni dans Proust ni dans James ni dans Flaubert, ni dans Purcell ni dans Wagner, ni dans Rembrandt ou Goya « la vraie vie enfin découverte et éclaircie », car la vérité, ils n’ont pas besoin de faire un détour pour y accéder, ils sont convaincus de la détenir. Ce qu’ils demandent à l’art, c’est d’illustrer cette vérité préalable, de la mettre en évidence et, pour faire barrage aux mauvais penchants qui se sont donné libre cours dans les sombres temps du vingtième siècle, de nous rappeler sans cesse à l’ordre du semblable. - 5 - Ainsi les musées sont aujourd’hui définis par leur grand Conseil international comme des « lieux de démocratisation inclusifs ». Dépositaires non de chefs-d’œuvre, ce qui réintroduirait la notion funeste de supériorité, mais « d’artefacts et de spécimens pour la société », ces établissements publics entendent « contribuer à la dignité humaine et à la justice sociale, à l’égalité mondiale et au bien-être planétaire ». Édouard Louis, l’écrivain français dont les traductions ornent toutes les devantures des rares librairies américaines qui ont survécu à Amazon, n’est pas en reste : « Si on n’écrit pas contre le racisme, ça ne sert à rien d’écrire. » Et cet impératif s’applique, avec la même vigueur, aux auteurs morts : les irrécupérables sont déconstruits ; les autres sont enrôlés dans la campagne qui bat son plein en faveur de la reconnaissance de l’homme par l’homme ou plutôt, et pour mettre enfin la langue à l’heure de l’universel, de l’être humain par l’être humain. "

http://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/3_discours_vertu_a._finkielkraut_.pdf

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