lundi 27 janvier 2020

Chinese people like wild game but they also believe that it has medicinal advantages

QUELLES ESPECES PROTEGEES ? (Varans, salamandres, serpents, hiboux, pangolins, bruants auréole, presque tous les animaux rares ou inhabituels se voient maintenant conférer des propriétés médicinales ou nutritionnelles extraordinaires)

L’appétit toujours plus grand des Cantonais pour les plats à base d’espèces rares pourrait bien entraîner l’éradication des pangolins, des serpents sauvages et autres salamandres géantes. (...) Le marché de la viande d’animaux sauvages est en plein essor. Ainsi, les restaurants font de bonnes affaires, même s’ils flirtent avec l’illégalité. Des espèces protégées comme les varans ou les pangolins sont chassées et vendues illégalement, puis finissent dans les assiettes des clients. La réputation qu’ont les Cantonais de manger des animaux sauvages n’est pas usurpée : cette tradition ancrée fait partie de la culture du Lingnan (la zone comprenant Canton et les provinces avoisinantes). Un salarié du bureau chinois de la Wildlife Conservation Society (WCS) affirme que les Cantonais “mangent absolument de tout” - les mets les plus recherchés étant des espèces en voie de disparition.

Parmi les espèces les plus consommées à Canton, on trouve le varan, la salamandre géante de Chine, des serpents sauvages, des hiboux et le bruant auréole. Une fois préparé, un hibou entier peut valoir environ 1 800 yuans [221 euros]. Les pangolins se vendent à 500 yuans [61 euros] le jin [env. 500 grammes], les varans à environ 100 yuans [12 euros].

Selon Yang Nan [pseudonyme], membre de la Société des amoureux de la nature, qui a mené une enquête à Canton, les bruants auréole sont peut-être l’animal le plus vendu sur les marchés de la ville. Cet oiseau a presque acquis un statut mythique depuis trente ans en raison de sa valeur nutritive. En saison, il peut s’en livrer 100 000 quotidiennement dans les restaurants, chacun étant vendu 100 yuans sous forme de soupe. D’énormes troupes de ces oiseaux survolaient autrefois Pékin au printemps et en été, mais depuis dix ans on n’en voit presque plus. Bientôt, ils auront tous été mangés. “Aujourd’hui, les oiseaux migrateurs évitent de survoler Canton”, soutient Yang.

Préparer ces mets délicats est une activité des plus sanguinaires. Un cuisinier d’un restaurant de Shenzhen (province de Canton), nous explique comment on tue et on prépare le pangolin : d’abord, on l’assomme d’un coup de marteau sur la tête, puis on le suspend au bout d’une corde, et on l’égorge à l’aide d’un couteau pour le saigner. Ensuite, on le plonge dans l’eau bouillante pour enlever les écailles - comme on plume un poulet. Puis, il faut le passer à feu doux pour enlever les poils fins. Enfin, on le vide, on le lave et on le cuit. La viande peut ensuite être braisée, cuite à la vapeur dans une soupe claire ou cuite en ragoût.

“La plupart des habitués ne paient pas eux-mêmes la note, explique un patron de restaurant. Les hommes d’affaires qui doivent leur demander une faveur invitent lesdits habitués à dîner, soit pour étaler leur cash, soit pour régaler un fonctionnaire”. Et ce sont ces mêmes fonctionnaires qui protègent les restaurants où l’on vend de la viande illégale.

Propriétés nutritionnelles extraordinaires

La passion des Chinois pour la consommation d’animaux sauvages est liée aux propriétés médicinales qu’ils prêtent à ces aliments. D’anciens écrits médicaux attribuent de telles vertus à presque toutes les plantes et animaux - et même aux organes d’animaux, à leurs excréments, leurs humeurs, leur peau ou leurs plumes. La médecine chinoise considère que l’art médical et la nourriture puisent aux mêmes sources.

Ces conceptions sont encore extrêmement répandues, et même les illettrés peuvent citer un certain nombre de “prescriptions” pour diverses affections : des alcools faits à partir de pénis de tigre ou de testicules de bélier pour la virilité, ou encore des os de tigre pour un squelette solide et des muscles vigoureux. Et il est généralement admis qu’on préserve mieux sa santé par son régime que par la médecine. Mais ces idées sont poussées de plus en plus loin. Presque toutes les plantes et les animaux rares ou inhabituels se voient maintenant conférer des propriétés médicinales ou nutritionnelles extraordinaires.

Alors, ces animaux sauvages sont-ils vraiment plus nutritifs ? Zheng Jianxian, spécialiste de l’alimentation à l’université de technologie de Chine du Sud, ne le croit pas. “Ces aliments n’ont pas les propriétés mystiques qu’on leur prête, affirme-t-il. En comparant les valeurs nutritionnelles du bétail et de la volaille produites nationalement avec celles d’animaux sauvages, nous avons trouvé des quantités identiques de protéines, de glucides, de lipides et autres éléments nutritifs. Les espèces sauvages n’ont aucune valeur nutritionnelle particulière et ne présentent aucun avantage. Et même lorsqu’il y a effectivement de petites différences, elles sont loin d’être aussi importantes que les gens ne l’imaginent”.

La plupart des bienfaits de ces aliments sont psychologiques

En fait, dans bien des cas, de tels aliments sont bien moins nourrissants. L’aileron de requin est constitué de fines bandes de cartilage et n’a ni goût spécifique, ni valeur nutritionnelle particulière. Il se compose principalement de collagène, une protéine incomplète, dépourvue de ces acides aminés essentiels que sont le tryptophane et la cystéine. Il est bien moins nourrissant que la chair de requin proprement dite, laquelle fournit des protéines complètes.

Même topo pour ce qui est de la soupe dite aux nids d’hirondelle, considérée par les Chinois comme un trésor national. Cette soupe est faite à partir des nids de salangane, lesquels contiennent la salive de l’oiseau mêlée à des algues, des plumes et des fibres végétales. La salive elle-même contient des enzymes, des protéines de mucus, des glucides et un peu de sel. On retrouve ces mêmes ingrédients dans la salive d’autres animaux - il n’y a là rien de magique. Pourtant, ces nids sont devenu des produits de grande valeur, alimentant toute une chaîne d’approvisionnement, depuis la collecte jusqu’à la consommation des nids en passant par leur préparation. Les populations de salanganes sur les côtes d’Asie du sud-est sont menacées à cause de la surexploitation.

Feng Yongfeng, journaliste spécialisé dans l’environnement au Quotidien de Guangming, fait valoir que la plupart des bienfaits de ces aliments sont psychologiques. Il n’en reste pas moins que ces idées d’un autre âge entraînent encore l’abattage d’animaux sauvages.

M. Luo, un habitant de Guangzhou avec qui nous nous sommes entretenus, reconnaît qu’il mange de la viande de ces animaux, mais qu’il aurait dû mal à changer ses habitudes du jour au lendemain. Par ailleurs, il estime que les autorités devraient davantage communiquer sur l’interdiction de consommer des espèces protégées. “Les pouvoirs publics et les médias ont incité les gens à ne pas manger d’aileron de requin, de pénis de tigre et de patte d’ours, alors je n’en mange pas”, concède-t-il. Mais il ajoute qu’il a mangé du pangolin pendant dix ans avant d’apprendre qu’il s’agissait d’une espèce protégée. A l’en croire, il faudrait dire clairement aux citoyens ce qu’ils peuvent et ce qu’ils ne peuvent pas manger.

Zhang Qifeng, Jiang Gan & Liu Xun

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