mardi 1 octobre 2019

Radiations dans l'espace et sur terre: la question du seuil

Pr Hubert Planel, pionnier à Toulouse de l'étude de l'effet des radiations sur les eucaryotes dans l'espace
Le débat continue et il a aussi des conséquences sur la perception par le public des questions d'exposition aux radiations:


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Objet : demande d’insertion du thème de la radioprotection contre les faibles et les très faibles doses à l’ordre du jour de la prochaine commission d’information


Messieurs,

Sur les quelque 470 000 personnes évacuées à Fukushima, en mars 2011, 174 000 n’étaient pas rentrées chez elles cinq ans après l’accident nucléaire, dont 100 000 sur le seul territoire de la préfecture de Fukushima où, à ce jour, 53 000 n’ont pas encore réintégré leurs logements, 4000 vivant toujours dans des bâtiments préfabriqués temporaires.
Par ailleurs, tous les rapports sanitaires sur le sujet – UNSCEAR, OMS, ICBDSR (japonais) – sont unanimes à conclure que la radioactivité accidentelle n’a fait là-bas qu’un nombre négligeable de victimes, au regard de celui des victimes de la tragique psychose engendrée par une aussi massive et aussi durable évacuation : un triplement du taux de mortalité a été enregistré dans les hôpitaux et dans les maisons de retraite médicalisées de la zone, tandis que l’évaluation du nombre de suicides et de décès prématurés, dus à la dégradation rapide des conditions de santé et à la mauvaise gestion des refuges, va de 1800 à 2300.

Pourtant, ce vaste mouvement de populations ne fut que l’application, certes zélée, par les autorités japonaises, de recommandations sanitaires de la CIPR (1) depuis longtemps en vigueur, dont on ne se rend compte qu’aujourd’hui qu’elles sont exagérément prophylactiques, ainsi qu’en témoigne le non-lieu sanitaire venant d’être prononcé sur le dernier volet de l’enquête lancée, après l’accident, par la préfecture de Fukushima (2), portant sur le suivi des femmes enceintes, des grossesses et des naissances locales : aucune augmentation des accouchements anormaux, ni de détérioration de la santé maternelle, si ce n’est la détérioration de la santé mentale de beaucoup de mères atteintes des mêmes symptômes dépressifs que nombre de leurs compatriotes locaux.

Ajoutons que, selon le livre blanc 2017 de l’UNSCEAR, aucune nouvelle étude n’a eu d’incidence significative sur les principales conclusions de son rapport 2013, à savoir : taux de cancer devant rester stable ; risque théorique de cancer de la thyroïde accru pour les enfants les plus exposés ; pas d’impact sur les malformations de naissance ou sur les effets héréditaires ; pas d’augmentation observable des taux de cancer chez les travailleurs ; impact temporaire sur la vie sauvage.

Ainsi, le désastreux bilan sanitaire des évacuations de Fukushima, dont on réalise aujourd’hui que le caractère massif n’était pas justifié, est-il tout à mettre au débit de prescriptions exagérément conservatives de la CIPR, dont l’instauration remonte au lendemain de la dernière guerre, à une époque où l’on découvrait tout juste les méfaits biologiques de la radioactivité. Faute de connaissances scientifiques suffisantes, les autorités sanitaires, alors chargées de règlementer la radioprotection et traumatisées par les ravages des bombes de Hiroshima et de Nagasaki, décidèrent d’extrapoler jusqu’à 0 la relation linéaire « dose/effets sanitaires » observée pour les doses reçues supérieures à 100 mSv et donc d’accréditer implicitement l’idée (règlementaire) que toute dose, aussi faible soit-elle, cause des dégâts à l’organisme humain.

Or, depuis plusieurs années déjà, il est largement admis par la communauté scientifique mondiale qu’une telle relation linéaire sans seuil – RLSS – ne repose sur aucune base scientifique. Au contraire, le corps médical est désormais en mesure de démontrer, observations empiriques, études exhaustives et radiothérapies à l’appui, que ladite courbe n’est pas linéaire, mais en forme de U inversé et que, en dessous d’un seuil de dose appelé NOAEL (3), elle rend compte d’effets bénéfiques sur l’organisme humain, connus sous le nom d’effet Hormesis.

Partant, le corps médical n’a aujourd’hui de cesse que de convaincre la CIPR de renoncer à une RLSS non seulement désuète, mais dangereuse à bien des égards. Hélas, ce corps médical trouve plus que jamais sur sa route la plupart des organisations anti nucléaires brandissant ce faux argument, en toutes occasions de leur combat partisan.

Quoi qu’il en soit, à quelques semaines d’un cinquième exercice national de crise nucléaire, sur la plateforme toulonnaise, les résidents locaux au fait de ce qui vient d’être exposé ont des raisons d’être hantés par la transposition à Toulon du cauchemar rapporté ci-dessus. À cette aune, ils mesurent surtout ce qu’aurait à gagner la structure de leur PPI au renoncement d’ASN et d’IRSN à une RLSS scientifiquement et empiriquement démonétisée.
Ces gens sont en effet parmi les mieux placés pour savoir que, quels que soient les circonstances, la nature et le siège d’un accident nucléaire survenant dans la base marine, dans la grande ou dans la petite rade, les Toulonnais et les habitants des communes voisines ne seraient exposés qu’à de faibles ou, plus probablement, très faibles doses. Il ne peut donc que se révéler contreproductif de chercher à les en protéger par des dispositions règlementaires dont la démesure est susceptible de leur causer plus de préjudices que la radioactivité.

Les autorités militaires ont largement les moyens de justifier ce qui précède, sinon d’en démontrer techniquement et scientifiquement la véracité, ce que, d’une manière indirecte ou d’une autre, elles font déjà régulièrement. C’est pourquoi l’abandon programmé de la référence à la RLSS doit amener les responsables d’un PPI ô combien spécifique à reconsidérer l’esprit dans lequel il convient désormais d’en déployer la simulation ordinaire ; ordinaire, c’est-à-dire triennale et débarrassée du volet « évacuation ». Car, outre le caractère démagogique de la prétendue nécessité d’exécuter régulièrement ce volet, cette lourde exécution parasite inutilement les opérations de protection et de secours qui seraient réellement mises en œuvre à Toulon, en cas d’accident… probablement seules.
Mieux, la nouvelle appréciation des seuils de radioprotection, découlant de l’abandon de la référence à la RLSS, ne tardera pas à montrer que, dans une certaine mesure, il devrait en aller, à Toulon, du volet « distribution et ingestion des comprimés d’iode stable » comme de ce qui est dit ci-dessus du volet « évacuation ». Si l’occasion devait m’en être donnée, je montrerais pourquoi les seuils correspondants pourraient d’ores et déjà être sensiblement relevés, par la simple application de la recommandation CIPR concernée, débarrassée de son limiteur RLSS.

Comme les masques à oxygène et les gilets de sauvetage qui ne servent quasiment jamais, dans les avions de lignes, il est bien entendu hors de question d’envisager la suppression des volets « iode » et « évacuation » du plan d’urgence. Mais, pour s’assurer qu’ils demeurent constamment opérationnels, point n’est besoin d’en mimer tous les trois ans un lourd déroulement sans valeur démonstrative. Semestriellement ou annuellement, il suffit d’astreindre leurs logistiques, leurs intendances, leurs effectifs de toutes spécialités et, surtout, les compétences nominatives qui les servent à un strict inventaire qualitatif et quantitatif, de même qu’à un contrôle impromptu des disponibilités de tous ordres. Pour aider à concevoir une telle gamme, on peut utilement s’inspirer des procédures périodiques en vigueur dans toutes les INB.

Ainsi que l’a toujours prôné le CCRR, se confirme-t-il peu à peu que la vérification triennale du caractère opérationnel du PPI Toulonnais doit essentiellement consister en la mise en œuvre d’un confinement (ou mise à l’abri) de la population exposée, le plus exhaustif et plus efficace possible. C’est à cet entrainement le plus réaliste possible, peu contraignant aux plans pratique et logistique, que tout exercice de crise toulonnais doit et aurait toujours dû s’astreindre, en priorité.
Continuer de se prêter au simulacre de la gestion complète d’un surréaliste accident de Tchernobyl, dont le caractère virtuel des ambitions stratégiques, tactiques, pédagogiques et de retour d’expérience n’abuse plus personne, ne travaille pas, peut-être à dessein, à l’acceptabilité du nucléaire dans notre pays ; surtout depuis que, en application des toutes dernières prescriptions règlementaires, la première contre-mesure à mettre en œuvre, dès l’ouverture de tout PPI, est… l’évacuation des habitants de la zone de danger !

Ce qui s’est passé à Fukushima illustre dramatiquement combien l’application infondée de la RLSS, par les dispositions de radioprotection d’un plan ORSEC nucléaire, peut se révéler délétère pour les populations sinistrées. C’est pourquoi, avec l’appui du professeur Jean-Philippe Vuillez (4), j’ai récemment pris l’initiative de saisir de cette question mesdames Noiville et Blaton respectivement présidente et secrétaire technique du HCTISN (5), qui, en date du 30 septembre 2019, m’ont déclaré mettre à exécution la démarche suivante : proposer au bureau de cet organisme d’ajouter le thème ci-après à l’ordre du jour d’une prochaine réunion plénière du HCTISN : relayer en direction de l’IRSN la demande conjointe du président du CCRR et d’une très grande part du corps médical, représentée au comité par monsieur Vuillez, de reconsidérer le poids de la RLSS dans la doctrine de radioprotection nationale, lors d’une rencontre experte et contradictoire, à organiser au plus haut niveau.

En conséquence, messieurs les préfets, je vous demande instamment de bien vouloir mettre ce problème de l’adéquation de nos plans d’urgence à une bonne radioprotection des populations contre les faibles et les très faibles doses à l’ordre du jour de la prochaine réunion de la Commission d’Information du port militaire. J’espère y avoir la possibilité de développer quelques arguments, mais, dans tous les cas, réitèrerai officiellement la demande ci-dessus auprès du représentant de l’IRSN et, le cas échéant, ferai état du niveau d’instruction de la démarche engagée.

(1)   Commission Internationale de Protection Radiologique

(2)  The Fukushima Health Management Survey ou FHMS
(3)   No Observable Adverse Effect Level
(4)   J.Ph Vuillez est le Chef du Service de Médecine Nucléaire Diagnostique et Thérapeutique au CHU de Grenoble, président sortant de la Société Française de Médecine Nucléaire


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