mardi 19 février 2019

Spinraza®: choisir l'innovation pour l'amyotrophie spinale

A Lévis, Province de Québec, la petite Lexie, 3 ans, peine à se mettre debout. Elle perd peu à peu l’usage de ses membres, risque de ne bientôt plus pouvoir manger ni respirer sans assistance (http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1081208/amyotrophie-spinale-spinraza-ramq-mere-levis-enfant-malade). Atteinte d’amyotrophie spinale (SMA), l’enfant est en danger, or un traitement efficace peut lui être administré. Problème, si ce traitement existe il coûte cher, et l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) recommande pour l’instant de ne pas le rembourser.  D’autres enfants sont dans son cas dans le monde, certains vont être traités d’autres pas. Une question économique et éthique.

L’odyssée d’une innovation thérapeutique majeure

Un nouveau traitement de l’amyotrophie spinale (nusinersen, Spinraza®) permet aux nouveau-nés et nourrissons malades d’améliorer leur motricité d’abord pour respirer, déglutir, puis pour se tenir assis, debout et marcher. C’est le résultat d’un parcours assez atypique et passionnant depuis 2003. Cette année-là, Adrian Krainer démontre que des molécules synthétiques peuvent modifier la façon dont un gène est lu et promouvoir certaines versions de lecture (https://www.nature.com/articles/nsb887). Franck Bennett, un leader dans le développement d'oligonucléotides antisens (OAS) comme médicaments, lit l’article et appelle Krainer. Leur projet est de traiter la SMA. Toujours en 2003, Loren Eng et Dinakar Singh, parents d'un enfant atteint de SMA, déposent les statuts de la Fondation SMA (http://www.smafoundation.org/). Ils vont financer les travaux de Krainer et Benett à qui s’est joint Yimin Hua. Jusqu’à aujourd’hui, cette fondation a financé plus de 110 millions $ pour la recherche fondamentale, translationnelle et clinique devenant le principal financeur de la recherche sur la SMA dans le monde.

Au cœur d’une maladie génétique qui touche un système vital

Les neurones moteurs

L'amyotrophie spinale (SMA) est une maladie des neurones moteurs qui se trouvent dans le tronc cérébral ou la moelle, c’est la première cause génétique de mortalité des nourrissons. Ces neurones commandent les muscles et, en l’absence de la protéine SMN codée par le gène défaillant, ils dégénèrent et meurent. Elle se manifeste dans les premiers mois de la vie, habituellement par des épisodes inattendus d’hypotonie du bébé. La mort rapide des neurones moteurs entraîne ensuite une faiblesse musculaire, en particulier du système respiratoire, qui est la cause la plus fréquente de décès. La mortalité des formes sévères est supérieure à 90%.

Le gène SMN du chromosome 5

Si environ 1/40 - 1/50 des adultes portent l’anomalie, il y a seulement 1/10000 à 1/25000 nouveaux nés atteints car la prévalence de l’amyotrophie spinale grave est beaucoup plus faible, en raison des manifestations très diverses de cette maladie.

Figure N°2 le chromosome 5 humain et la région q13.2 des deux gènes SMN1 et SMN2


Sur le chromosome 5 en q13.2 (Figure N°2) il y a deux gènes le SMN1 et le SMN2. Le premier code pour la protéine SMN indispensable aux neurones moteurs du tronc cérébral et de la moelle épinière. L’absence d’un gène normal sur les deux chromosomes 5 parentaux provoque la maladie. Le nusinersen agit au niveau génétique pour produire de la protéine SMN (http://www.learnaboutsma.org/science/8.html) .

Des résultats qui prouvent que la fatalité peut être vaincue


Une maladie génétique est au sens propre une fatalité qui ne dépend pas de l’environnement mais d’un héritage parental. Depuis le décryptage du génome humain et l’application des techniques de génie génétique, un autre avenir s’ouvre pour ces enfants : celui de survivre et de le faire en menant une vie normale. La Food and Drug Administration des États-Unis a approuvé, le 23 décembre 2016, le Spinraza® (nusinersen), le premier médicament pour traiter les enfants et les adultes atteints d'amyotrophie spinale, environ 20 ans après que le gène de cette maladie ait été découvert par l'équipe de Judith Melki en France… En juin 2017, l'Agence européenne des médicaments (EMA) a fait de même. Les agences ont toutes utilisé des procédures accélérées au regard des résultats. Quels sont-ils?

Le 7 novembre 2016, un essai chez des enfants de 2 à 12 ans en fauteuil roulant atteints de SMA a été arrêté au vu des résultats positifs chez les enfants traités et le groupe témoin a reçu le traitement. En août, un essai similaire chez des nourrissons a été arrêté pour la même raison, permettant aux nourrissons non traités du groupe contrôle de recevoir le médicament pour des raisons éthiques. Finalement, paraît en décembre 2016 un article qui fournit les preuves convaincantes que le nusinersen est efficace pour traiter la SMA (Figure N°2).




Figure N°2
Nécessité pour survivre d’une ventilation mécanique dans l’étude nusinersen: sans traitement peu d’enfants survivent sans être dépendant d’une ventilation mécanique. Sous nusinersen, 63% des enfants peuvent se passer de ventilation mécanique permanente.



Maladie rare, l’amyotrophie spinale est maintenant curable, mais quel est le coût du traitement ?

Il est très élevé, une injection intrathécale (dans le liquide céphalo-rachidien après ponction lombaire) coute environ 120 000 dollars US. Ce prix a déclenché une controverse, ce qui est naturel. Il est exact que c’est un médicament d’exception, que c’est une classe thérapeutique complexe, dont le nombre d’indications est limité, le taux de naissance avec la maladie étant faible. Il faut aussi prendre en compte le fait que d’autres médicaments de ce type ou différents sont en développement et viendront prochainement lui faire concurrence. Mais ce prix est-il juste? Il est difficile de le dire en l’absence d’études médico-économiques. Il faudrait connaître le coût exact du développement du nusinersen, en soustraire une partie des soins d’accompagnement qui ne sont plus nécessaires chez les enfants traités, ajouter les complications du traitement (le profil des effets secondaires est assez favorable au nusinersen) et le coût social des vies perdues sans traitement. Ces études seront faites mais nous n’avons pas le temps d’attendre. Nul doute que le laboratoire qui commercialise le Spinraza® (Biogen®) a la volonté de valoriser son innovation mais aussi son avance et de gérer son portefeuille de médicaments. Pour tout nouveau médicament coûteux, les assureurs doivent faire des choix qui dépendent de nombreux facteurs et ces choix sont difficiles. Une des pistes innovantes est d’assortir le remboursement d’un mécanisme de levier sur les résultats. En quelque sorte, le remboursement serait moindre si le médicament ne donne pas de résultats.

Dès lors, faut il rembourser ou attendre?  Avons-nous une idée rationnelle de l’effort demandé ?

En termes de coût global, les pays développés peuvent faire cette dépense. Mon opinion est qu’ils doivent la faire car pour beaucoup de ces enfants c’est le prix de la vie. Tout doit se jouer dans les négociations afin que d’une part des programmes soient développés pour ceux qui ne peuvent pas bénéficier de remboursement pour des raisons économiques, et ce dès que les pays développés auront accepté de rembourser le nusinersen. Mais aussi afin que d’autre part la concurrence soit effective dès que d’autres traitements arriveront en phase clinique. Ces maladies rares, dont le nombre de patients est stable, ne sont en effet, il faut le rappeler, pas susceptibles d’extension discutable des indications comme pour les médicaments des maladies acquises ou les traitements fonctionnels. En revanche, ces enfants comme tous les patients atteints de maladie rare sont peu exposés médiatiquement. Il existe une certaine tyrannie du nombre qui consiste à n'envisager politiquement aucune diminution de prestations à l’efficacité improbable qui se chiffrent en milliards mais concernent des millions de citoyens, et au contraire à freiner l’innovation au regard du prix élevé d’un médicament vital pour quelques milliers de nos enfants .

Les thérapies géniques sont vitales pour ces enfants qui ne pourraient survivre sans. Dans le cas du Spinraza®, des injections itératives  sont pour l’instant nécessaires et donc une prise en charge complexe et coordonnée dans des services de neurogénétique. Mais après les OAS il est légitime de penser que viendront d’autres thérapies plus définitives comme celles qui remplaceront le gène défectueux avec l’espoir dans la SMA qu’un seul gène SMN1 normal suffit. 

L’incidence de la SMA grave serait au Québec de 5,83 sur 100 000 naissances, soit 5 nourrissons qui ont peu de chances d’atteindre les deux ans, à moins qu’un traitement ne leur soit administré (http://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Inscription_medicaments/Avis_au_ministre/Decembre_2017/Spinraza_2017_12.pdf?sword_list%5B0%5D=spinraza&no_cache=1). La mission d’un assureur maladie est de faire le choix de rembourser à tous les assurés les médicaments qui changent le pronostic de ces maladies, en acceptant de récompenser l’innovation à un prix initial élevé parce que, au moins pour certains, c’est le prix de la vie maintenant.


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