lundi 17 décembre 2018

On ne peut pas aimer la France et ne pas être touché par les Gilets jaunes.

Les Gilets jaunes c’est la France laborieuse, la France de ceux qui fument des clopes et roulent au diesel, des ouvriers et des petits patrons.
La France des troquets, du tiercé et des plats du dimanche.
La France ni de droite ni de gauche –ou d’un peu des deux.
Celle de ceux qui ne sont rien, mais pas personne, la France des illettrés, des harkis, des légionnaires, la France des prostituées et des poissonnières, la France de ceux qui ont choisi la France pour y vivre, y travailler et y mourir.
Celle des parents qui mettent des torgnoles à leurs gosses pour leur apprendre à se tenir.
Des fins de mois difficiles, qui sont autant de fins du monde, sans cesse renouvelées.
La France qui se baisse pour ramasser une pièce, éteint la lumière de la cuisine et met les restes au frigo dans un tupperware.
La France des types qui matent le cul des filles et celle des filles qui font semblant d’être offusquées.
Celle de ceux qui appellent un arabe un arabe et un noir un noir. "Diversité", "minorités visibles", "#balancetonporc", "covoiturage", "transition énergétique"… ces mots sont vides de sens pour cette France, LA France.
La France qui vanne, invective, s’insulte puis se réconcilie devant un verre de rouge, pas forcément avec modération.
La France modeste et fière, qui compte les centimes en rêvant de gagner au Loto, qui n’aime pas trop les riches et n’en peut plus d’être pauvre.
Celle qui déteste les sous-chefs et adore haïr les chefs, pourvu qu’ils en aient la stature et l’humilité.
La France qui se branle de l’Europe, mais qui adore les Italiens, les Espagnols, les Portugais ou les Grecs. Enfin, ça dépend des jours.
La France qui se fout de l’écologie, mais qui connaît le nom des arbres, des champignons et des oiseaux.
La France ni raciste, ni xénophobe, ni fasciste, ni homophobe, celle qu’il faut juste respecter et pas trop emmerder avec des histoires de cornecul.
Celle qui veut vivre de son boulot et se sent humiliée quand on lui fait l’aumône ou la leçon.
Celle qui sait que ses ancêtres n’étaient pas forcément des Gaulois, mais ne peut s’empêcher de chialer quand elle entonne La Marseillaise, dans un stade ou dans la rue.
La France pétrie de contradictions, qui dit rouge et qui dit noir, qui se signe à l’église et bouffe du curé.
La France de ceux qui n’envisagent pas une seconde de ne pas se faire enterrer en France, même –et peut-être surtout- si leurs racines sont ailleurs.
Celle qui tient la porte, cède sa place dans un bus et se gèle toutes les nuits sur les ronds-points des nationales.
Un seul coup de klaxon et… je serai guéri.
La France des pantalons qui piquent, celle des antimilitaristes qui ne manquent aucun défilé du 14 juillet à la télé, celle des pulls en acrylique et du Tour de France, la France de Coluche, d’Audiard, d’Akhenaton, la France des Fragione, des Perez, des Cavanna, des Cherfi et des Matombo, du Père Noël est une ordure, des Deschiens, des Nuls et de tous les inconnus célèbres, celle de Bebel et des Valseuses, d’Higelin et d’Herrero, la France du film pourri du dimanche soir, celle des héros du quotidien, celle qui pense que Céline n’est qu’un vendeur de sacs, mais dont la culture et l’intelligence sont magnifiques, parce qu’elles viennent de loin, de très loin, de plus loin encore.
La France des femmes de ménage et des ramasseurs de poubelles, celle des artisans et des commerçants près de leurs sous, la France qui sait que c’est le travail qui libère et l’oisiveté qui asservit.
On ne peut pas aimer la France et ne pas être touché par les Gilets jaunes. Mépriser les Gilets jaunes c’est mépriser la France et les Français, c’est se mépriser soi-même. Chaque fois que je vois un Gilet jaune sur un rond-point, j’ai envie de le serrer dans mes bras. J’ai envie de lui dire "continue mon gars, je t’aime, je suis avec toi, je suis exactement comme toi, j’ai souffert et si aujourd’hui ça va un peu mieux, je sais d’où je viens et où je ne veux plus être". Je suis un beauf. J’aime les Gilets jaunes. Sans restriction. Avec tous leurs excès, tous leurs manques, tous leurs défauts et toutes leurs frustrations. Je prends tout, absolument tout, en bloc, comme mon pays, la France, mon pays contre lequel je râle et ne cesserai de râler. Oui : je prends tout. Et tant pis si je dois me fâcher avec quelques-uns. Parce que je sais que le jour où je serai à nouveau dans la merde, c’est un putain de Gilet jaune qui m’aidera à en sortir. On ne peut pas aimer la France et ne pas être touché par les Gilets jaunes.

DM

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