mardi 15 janvier 2013

La pilule et ses complications cardiovasculaires: Comment mieux les prévenir.


La polémique née à la suite de la plainte d’une jeune femme accusant son traitement contraceptif d'être à l'origine de son AVC ne cesse d’enfler. Que sait-on réellement des risques que font actuellement courir les contraceptifs hormonaux ?


La pilule anticonceptionnelle estro-progestative dite combinée a été introduite en 1960 aux USA après les travaux de Greg Pincus et autorisée en France en 1967 par la loi Neuwirth. Auparavant les femmes disposaient de moyens contraceptifs beaucoup moins efficaces.

Dès le début, la contraception hormonale a été associée à un risque absolu de complications cardiovasculaires qui comprend la survenue d’un caillot dans une veine et sa migration vers les poumons et la survenue d’un caillot dans une artère qui va au cerveau ou au cœur (phlébite et/ou embolie pulmonaire, accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde).

Le risque absolu moyen pour les phlébites et embolie pulmonaire est de 4-8/100 000 sans pilule, 10-15/100 000 avec les 2G et 20-30/100 000 avec les 3G. Quand, prenant la pilule, on porte une mutation du facteur V de la coagulation, ce risque passe à 285/100 000. Ce qui signifie que le risque relatif est de 2 à 3 fois avec une pilule 2G et de 5 à 6 avec la pilule 3G.
Le risque relatif d’AVC est de 1,4 à 2,2 et celui d’infarctus du myocarde est de 1,33 à 2,28 sous pilule dans la plus récente étude de 2012.
Ce risque est difficilement prévisible dans sa composante génétique alors qu’il est bien identifié en ce qui concerne la composante acquise c’est à dire l’inhalation de tabac fumé et l’obésité. En d’autres termes les femmes qui fument et sont en surpoids prennent un risque certain de complications cardiovasculaires avec la pilule alors que celles qui ne fument pas et ne sont pas en surpoids ne prennent qu’un risque très faible essentiellement en fonction de leur prédisposition génétique. Toutefois parce ce risque moyen est faible, il a été jugé acceptable au regard des bénéfices en terme de qualité de vie et les différentes pilules ont obtenu des autorisations de mise sur le marché. Ceci ne signifie en rien qu’il n’existe pas.

Ce risque est-il tellement accru par les troisième et quatrième générations de pilule qu’il faille envisager, comme l’a indiqué Marisol Touraine, leur retrait ?


L’innovation thérapeutique s’est concentrée sur de nouvelles molécules afin d’améliorer la contraception hormonale œstro-progestative : on a parlé de générations de pilule. Les doses d’œstrogènes ont été réduites et de nouvelles molécules testées. Dans le même temps, les autres moyens contraceptifs ont eux aussi évolué, par exemple les stérilets et les anneaux hormonaux.

Dès fin 1995 des travaux ont pointé le risque augmenté de phlébite et d’embolie pulmonaire avec les pilules de troisième génération qui permettent d’améliorer la tolérance sur d’autres aspects chez certaines femmes. Ainsi cette nouvelle génération de pilules présentait le paradoxe d’être mieux tolérée sur le plan fonctionnel et métabolique tout en augmentant le risque d’accidents vasculaires. Ceci semble aussi être le cas des pilules de 4ème génération. Toutefois les résultats de la littérature scientifique sont très complexes à analyser car les études en matière de survenues de complications cardiovasculaires sont très différentes de part les combinaisons hormonales testées ou bien la complication recherchée.

Peut-on parler de défaillance dans les cas de complications aujourd’hui médiatisées ?


Les affaires actuelles apparaissent plus comme la résurgence juridique de complications possiblement sous-estimées que comme de vraies nouvelles scientifiques – les premiers signalements datent en effet de 1996.
Les nouveaux moyens de diagnostic permettent aujourd’hui mieux qu’hier d’établir un lien de cause à effet entre des anomalies en particulier génétiques de la coagulation, la prise de la pilule et l’accident thrombo-embolique (AVC, infarctus, phlébite ou embolie pulmonaire). Ainsi les femmes sous pilule victimes d’une complication grave en raison d’une anomalie génétique de la coagulation ont le sentiment que cette complication aurait pu être prévenue si un test génétique leur avait été proposé, ce d’autant qu’elles prenaient une pilule dont le taux de complications cardiovasculaires est réputé plus élevé. Ce sentiment est légitime même s’il est difficile de trouver une solution médicalement efficace et économiquement soutenable – les anomalies, de surcroit, ne se résumant pas aux deux plus fréquentes.

 

Le point le plus préoccupant n’est-il pas finalement le défaut d’information préalable ?

 

L’information est aujourd’hui centrée sur le droit à la contraception, sur l’accès à la contraception et sur la contraception hormonale combinée œstro-progestative. Les effets secondaires sont minimisés les complications graves ignorées voire niées. Par exemple des sites d’information diffusent des vidéos d’interview de médecins où ces complications ne sont même pas citées… http://www.aufeminin.com/video-couple/pilule-moyen-de-contraception-n58924.html
Il faut rééquilibrer cette information pour expliquer très clairement c’est à dire avec des chiffres les risques en particulier de phlébite, d’embolie pulmonaire, d’infarctus ou d’AVC et introduire la notion de rapport risque/bénéfice. Une information visuelle de ces risques doit être introduite dans le mode d’emploi de ces médicaments avec des schémas explicatifs du risque absolu et relatif. Il faut aussi explorer avec la patiente les autres moyens contraceptifs, la pilule progestative simple pour laquelle aucun surrisque cardiovasculaire n’a été mis en évidence, le stérilet et d’autres moyens. Tout miser sur la pilule combinée c’est augmenter les complications. Une femme informée prendra plus de précautions et sera en mesure de mieux discerner les signes initiaux d’une complication grave. La primo consultation pour prescription d’un moyen contraceptif devrait être mieux rémunérée et tracée par un codage spécifique.

 

Globalement les acteurs sont-ils suffisamment responsabilisés ?

 

Il serait dramatique de déstabiliser la confiance des femmes dans la contraception hormonale œstro-progestative. or c'est précisément le résultat auquel on aboutit en minimisant les risques ou en agitant l'épouvatail d'une "épidémie d’avortements". Les femmes veulent une information réelle sur les risques et non pas de la morale.
Le risque acquis, qui reste faible, rappelons-le, est double : le tabac et l’obésité. Et il est parfaitement évitable. De ce point de vue, l’augmentation du tabagisme et de l’obésité chez la femme concomitamment à l’augmentation du nombre de femmes prenant une pilule œstro-progestative (plus de 50% des femmes en âge d’avoir un enfant) a tout simplement augmenté le nombre de femmes atteintes de complications. Il faut dissuader les femmes qui fument ou qui sont obèses et a fortiori celles qui cumulent les deux facteurs de risque de choisir la pilule combinée comme moyen contraceptif. La leur prescrire ne devrait plus être considéré comme une convenance devant leur insistance. Il faut refuser la prescription et proposer un autre moyen.
En effet comment expliquer que l’on dissuade les femmes de prendre une troisième génération qui peut augmenter le risque relatif d’un facteur 1,5 à 5 alors que fumer le multiplie par 9 et que l’obésité pour un IMC>25 le multiplie par 10 ! C’est tout simplement irrationnel (notes 1, 2).
Génétique, ce risque devrait pouvoir être au moins partiellement évité grâce à des tests ciblés quand la personne présente des antécédents familiaux et/ou personnels prouvés. Cependant le coût de ces tests est un sujet car il est d’environ 43 € pour le facteur V Leiden et de 54 € pour le facteur II, soit 103 € non remboursés. Et ces deux anomalies ne représentent pas tout à fait la moitié des anomalies potentiellement responsables de phlébites ou d’autres accidents vasculaires. Mais ce coût reste à mettre en balance avec les conséquences coûteuses de ces complications. Avec 3,9 milliards de transports médicaux il y a des choix à faire.
Les médias ont aussi un rôle à jouer mais le rôle des soignants et de tous ceux qui sont en contact avec les femmes au moment du choix est capital.

Le recours à la pilule a-t-il été trop systématisé ?


Tout avis médical doit être personnalisé. La vie d’une femme en âge de procréer n’est pas linéaire il faut donc adapter avec elle les moyens contraceptifs aux besoins de sa période de vie. La prise d’une pilule combinée à vie est la solution la moins adaptée car le rapport bénéfice/risque d’un moyen contraceptif varie tout au long de la vie.
S’agissant du début de la contraception il faut à tout prix dépister les femmes à risque. C’est pourquoi une connaissance approfondie des antécédents familiaux et personnels est essentielle. Après l’interrogatoire des initiatives simples peuvent permettre de dépister les personnes à risque. Ensuite on doit conseiller à ces personnes à risque soit une autre contraception soit un dépistage d’anomalies thrombophiliques (prédisposition génétique à la formation de caillots). Ces investigations peuvent être conduites par tout médecin car elles sont prescrites à d’autres patients dans d’autres contextes. Résumer les problèmes actuels à une prescription trop fréquente de pilules de 3 et 4ème génération ou à une insuffisance médicale des généralistes n’est basé sur aucune preuve. 

Le signalement des complications devrait-il être amélioré ?


La culture de la pharmacovigilance ne se décrète pas elle s’apprend. De ce point de vue, la formation initiale et continue des médecins et des autres soignants sont améliorables. Ensuite elle doit être rémunérée car elle prend du temps. En lien avec les centres de pharmacovigilance, le signalement peut être de meilleure qualité si les médecins sont honorés pour ce travail et si le suivi et la pertinence des informations sont vérifiés. La base de données française est considérable puisque le pourcentage de femmes prenant la pilule est un des plus élevés de l’OCDE mais elle demeure peu exploitée. L’assurance maladie et les unités de recherche publique peuvent en raison du monopole mesurer les consommations, tracer les complications et publier les résultats dans le cadre du suivi de tout médicament. Ces données devraient être publiques dans le cadre de l’open data.
Mais il est également nécessaire de développer dans le même temps la recherche et l'innovation en matière de contraception. Les cas de complication grave, pour rares qu’ils soient, ne peuvent que se multiplier avec l’augmentation de prévalence des facteurs de risque que sont le tabagisme, l’obésité et le diabète dans les sociétés développées. Et ce alors même que le dépistage d’anomalies génétiques pré disposantes serait effectué. Mais dans les pays en développement où la contraception est peu utilisée et où les enjeux de contrôle des naissances sont capitaux, de nouvelles méthodes plus sures sont aussi attendues.

Faut-il craindre la tournure qu’a pris le procès fait à la pilule ?


  • Sur le plan sociétal les complications récemment médiatisées viennent nous rappeler qu’il n’existe pas de médicament fut il accessible à tous et payé par la collectivité qui ne recèle aucun risque. La pilule contrairement à ce qui est clamé n’est ni un bien ni un mal, ce n’est pas plus une fin sociétale progressiste mais c’est un moyen de contraception. La seule fin c’est l’être humain et la préservation de sa santé. A ce sujet il serait utile de vérifier que les récentes dispositions concernant la prise en charge par la collectivité de la pilule chez les 15-18 ans n’entrainent pas une déresponsabilisation et/ou une diminution des conseils et de la personnalisation des prescriptions. Si cette prescription est effectivement élargie à des non médecins cette étude de la qualité des soins est indispensable. 
  • Sur le plan juridique on peut regretter l’absence d’action de groupe qui dans ce cas permettrait de briser l’isolement de personnes fragilisées moralement et économiquement par la survenue de complications graves et inattendues.
  • Sur le plan médical le non remboursement des pilules 3 et 4G est une mesure infondée car la dépense d’argent public ne peut résider sur des comparaisons statistiques aussi ténues. A vrai dire cette économie est bienvenue pour financer la « gratuité » décrétée pour une classe d’âge. Il serait plus fondé  d’insister sur l’incompatibilité du tabagisme et de la pilule mais aussi des risques ajoutés par l’obésité et le diabète. Les prendre en compte permet non seulement de diminuer les complications de la pilule mais de prolonger la vie des femmes en saisissant cette opportunité de prévention en santé publique.





1/ Pomp ER, Rosendaal FR, Doggen CJ. Smoking increases the risk of venous thrombosis and acts synergistically with oral contraceptive use. Am J Hematol. Feb 2008;83(2):97-102. 


Morteza Abdollahi, Mary Cushman, Frits R. Rosendaal

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