lundi 10 novembre 2008

Chirurgie foraine, patients nomades.

le 10 juin 2006
Ce qui caractérise encore le marché du soin et des biens médicaux par rapport aux autres marchés est une très importante asymétrie d'information. Le patient, très souvent, ne sait pas de quoi il est atteint, et quels sont les risques (d'abord ceux de sa maladie puis ceux des traitements), de même qu'il ignore presque toujours le coût des soins ou des biens médicaux, leur efficience médico-économique.

La rétention d'information n'est pas le seul fait des médecins. Elle est aussi et surtout le fait des tiers payeurs, qu'il s'agisse de l'Assurance-Maladie Obligatoire ou des assurances complémentaires.
Enfin et surtout soulignons que ce qui existe pour toute activité économique est indisponible en matière de système de soins: un comparateur de coûts !

Tout ceci est bien évidemment le contraire d'une situation aléatoire : cette opacité accroît le pouvoir des systèmes en place qui ne manquent pas de se draper dans la confidentialité, la spécificité, la "solidarité", la "gratuité", et au final le fait que ceux qui ne font pas du soin une activité commerciale sont au-dessus de tout soupçon de dissimulation ou de conflit d'intérêts.
De surcroît, l'Europe des systèmes de soins est peu communicante : se faire rembourser des soins dans un autre pays que le sien est un véritable combat contre une bureaucratie très organisée. Des avancées récentes ne manqueront pas d'être soulignées par les caciques du "tout va bien Big Brother veille" ; mais à quoi ressemble l'Europe si pour de faire rembourser des soins il faut aller devant la Cour de Justice des Communautés Européennes ?

Le patient, dans les systèmes étatisés, est impuissant face à cette situation. Il est un payeur aveugle et obligé.
C'est pourquoi, las de tenter en vain par son vote une réforme du fonctionnement des sytèmes de soins, il se comporte à l'échelon individuel en "ultralibéral" (j'entends bien sur par ce néologisme hexagonal tout le contraire de son acceptation médiatique) : dès que son système d'AMO ne marche pas convenablement, ou ne rembourse pas les soins, il va voir ailleurs.

Et ailleurs, cela peut être loin… Les Britanniques ne sont pas les seuls agir de la sorte, les Français et les Françaises sont nombreux à aller à l'étranger, pour la chirugie plastique par exemple.

Ce phénomène représente une migration annuelle de 10 000 patients britanniques, tandis qu'en France on ne dispose pas de statistiques fiables - bien que, d'après les agences de voyage, la fourchette actuelle serait entre 1000 et 2000 par an.
La montée en puissance économique des pays émergents ou des nouveaux venus en Europe, voire de certains pays du Maghreb, va amplifier et sécuriser le phénomène. De surcroît, la diminution des besoins en capital, la très large distribution et le bas prix des systèmes de haute technologie va très rapidement mettre ces structures de soins au même niveau que celles des pays développés : le prétendu avantage des pays développés sur les activités économiques à haute valeur ajoutée est donc un argument qui ne témoigne que la myopie extrême de ceux qui l'avancent.
Certaines structures à fort potentiel n'auront aucun mal à trouver des investisseurs car la qualité de la main-d'œuvre et son coût très bas assurent de forts bénéfices alors même que le coût global de l'acte reste inférieur, voyage compris, à la moitié du coût en Europe occidentale, et au cinquième du coût aux États Unis.
Enfin, last but not least, l'opérateur est souvent celui qui exerce dans le pays d'origine…

Pour autant, il restera à créer la confiance sans laquelle il n'est pas d'activité économique. C'est pourquoi certains de ces centres chirurgicaux affichent une transparence totale en matière de résultats, de tarifs et de garanties.

Les offreurs de soins européens ont-ils abdiqué ? Pas les Allemands, en tous cas. Les premiers exportateurs mondiaux savent aussi attirer les Britanniques avec des tarifs élevés mais en jouant sur la sécurité. Plusieurs centres proposent en Allemagne la chirurgie la plus simple mais aussi la plus sophistiquée comme la chirurgie cardiaque mini-invasive.

Quelques tarifs en Allemagne:

CHIRURGIE DES VARICES
Petite Saphène traditionnelle : 1550 Euros
Grande Saphène : 1550 Euros
Crossectomie: 1550 Euros
Echographie préalable : 250 Euros
Bas spécial de contention pour l'insuffisance veineuse (nécessaire après la chirurgie) : 110 Euros
Chirurgie au laser des varices sous aneshésie locale : 1860 Euros
Les tarifs pour une chirurgie endoscopique seront disponibles bientôt.


En France, dans le nord-ouest et la région parisienne, les Britanniques viennent essentiellement pour la chirurgie orthopédique. Notre pays conserve aussi une clientèle africaine, tandis que les patients des pays du golfe ont tendance à se faire opérer soit aux États-Unis, soit sur place où se déplacent des chirurgiens occidentaux.
Quelle est la réaction des chirurgiens européens? Bien évidemment, les hiérarques de la profession s'offusquent et font valoir les risques de la chirurgie à l'étranger en terme de qualité des soins et de traitement des complications. C'est un point parfaitement exact, sauf que de telles considérations devraient amener à une métrologie du risque aussi en Europe : les structures de très faible activité, dont le plateau technique est déficient, de même que des structures de taille et d'équipement normaux mais avec des taux de complications élevés ne sont pas favorables à cette transparence, et pourraient bien pâtir de ce benchmarking.
Les syndicats, omnipotents dans la fonction publique hospitalière française (mais aussi dans d'autres pays de la zone euro) s'opposent à toute comparaison qui pourrait déboucher sur une analyse des effectifs et de l'efficience des structures, en particulier des blocs opératoires.
Au Royaume-Uni, le déficit de plusieurs trustees en 2005 a entrainé des décisions drastiques de Tony Blair et de sa ministre de la santé Patricia Hewitt, mais à ma connaissance les réductions d'effectifs seront très ciblées pour ne pas déclencher de front social. Force est de reconnaître que, dans ce pays, si les délais pour se faire opérer étaient parmi les plus longs des pays développés des résultats significatifs ont été obtenus tant dans ce domaine de la liste d'attente que de la publicité des résulatats.

En France, après le rapport Vallancien, qui a mis le doigt sur l'extrême éparpillement des structures hospitalières principalement publiques, et après que plusieurs rapports aient mis en garde sur la crise démographique mais surtout économique de la chirurgie, l'État, qui a une mainmise totale sur le système de soins, est préoccupé par le déficit de la branche "Assurane-maladie" de la Sécurité sociale, plutôt que par la détérioration de la chirurgie hexagonale qui fait encore bonne figure en terme de délais.
Toutefois, les conditions juridiques étant très défavorables aux chirurgiens, le mouvement d'expatriation pour bénéficier d'une opération devrait rester significatif en chirurgie plastique, esthétique et gynécologique.


Où en sont les problèmes de remboursement par les assurances médicales obligatoires d'État?

Pour un assureur privé ou public qui a défini de manière actuarielle le risque et les bornes de ses garanties, le remboursement ne pose aucun problème. Il n'en est pas de même pour les Assurances-Maladie Obligatoires nationales qui, à partir de prélèvements sur les personnes productives, prétendent assurer le risque de tous. Les tribunaux nationaux étant assez systématiquement contre cette liberté de circuler et se faire soigner des patients, ces derniers se tournent vers la Cour de Justice des Communautés Européennes. Les batailles juridiques sont nombreuses et toujours très politisées, tant la CJCE est sous influence et ménage les régimes d'assurance-maladie historiques au mépris des Droits des citoyens européens à obtenir au moins les avantages qu'ont, entre autres, les marchandises ! Ainsi, nous avançons à pas millimétriques.

Pour illustrer cette opinion, citons :

- le jeu de chassé-croisé sur le monopole de l'assurance maladie en France.
- Le marathon de la transformation du statut des mutuelles, toujours en France.
- La caractérisation d'"activité économique" des producteurs de soins médicaux.
- Le droit fait récemment aux citoyens de l'Union de se faire traiter et rembourser par le pays d'origine pour des soins programmés pour lesquels le délai dans ledit pays est "médicalement excessif"…

Au siècle dernier, l'aristocratie, depuis longtemps mondialisée, se déplaçait dans toute l'Europe pour guérir ou améliorer sa santé, le plus souvent grâce aux bienfaits supposés du climat, des eaux et de l'air. Le capitalisme ("le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres") permet aujourd'hui à des milliers de patients et clients potentiels de se faire soigner sur toute la planète.
Qui peut croire que ce mouvement va s'arrêter?

Références

1. Surgeon and Safari: Privacy in Paradise Surgery, Recuperation and Rejuvenation away from public scrutiny (Afrique du sud)

2. Surgery abroad and Mediscapes, cosmetic plastic surgery, South Africa

3. Heart Surgery in Germany in Renowned German Heart Hospitals

4. Beautiful Beings - A holiday and a treatment rolled into one

5. India Medical Care

6. Millard, Robin, "Tourisme médical: le nouveau patient anglais se fait opérer loin de chez lui", AFP, 14 mai 2006.

7. Hall, Celia, Medical Editor et Rozenberg, Joshua, Legal Editor, "NHS may have to pay for surgery abroad", The Daily Telegraph, 17 May 2006

8. Thomson, Alice, "At least we are not yet a banana republic", The Daily Telegraph, 17 May 2006

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